L’affaire McCarthy

21 octobre 2014

L’œuvre de l’artiste américain Paul McCarthy était intitulée «The Tree», plastiquement elle était à mi-chemin entre un sapin de Noël et un sex-toy de 24 mètres. Elle a été vandalisée place Vendôme (vandalisme qui consiste, semble-t-il, à avoir débranché la soufflerie). Précédemment, un inconnu avait giflé l’artiste avant de réussir à s’enfuir. L’installation, provisoire, était prévue dans le cadre de la Fiac, qui s’ouvre mercredi à Paris.

L’artiste n’a pas insisté pour qu’on regonfle sa baudruche. Dans le milieu de l’art international et financier, être vandalisé est un honneur, cela prouve qu’on a produit une œuvre qui « questionne », « interpelle » et, compliment suprême, « provoque », « bouscule » : c’est la condition du chef d’œuvre selon l’AC. Pour McCarthy l’opération est donc positive : tous les médias en gloussent encore (sauf, peut-être, les grandes chaines TV qui semblent avoir moins couvert l’affaire… mais BFM en a amplement parlé), voilà un bon coup de pub pour lancer son exposition de prestige à la Monnaie de Paris, le 24 octobre.

Même le président François Hollande s’en est ému lors de l’inauguration de la Fondation Louis Vuitton, hier soir : «La France sera toujours aux côtés des artistes comme je le suis aux côtés de Paul McCarthy, qui a été finalement souillé dans son œuvre, quel que soit le regard que l’on pouvait porter sur elle». Voilà une phrase toute faite qui prouve que le locuteur ignore tout, mais vraiment tout, des œuvres un peu salissantes de McCarthy. Se souiller, il adore cf ces performances où il se macule de ketchup ( vidéo attention âmes sensibles). Un conseil, M. le président, pour  fréquenter MacCarthy, munissez -vous d’un parapluie…

Que transgresse vraiment cette œuvre, puisque tout le monde, institutionnel et marchand, tout ce qui est officiel est d’accord, Comité Colbert compris ? Ce comité est censé incarner l’excellence française : l’excellence du ridicule, sans doute, mais où sont les artistes vivant et travaillant en France ? « The Tree » transgresse « l’ordre moral » nous dit-on, sans rire. Quel ordre moral ? S’il y a aujourd’hui un ordre moral qu’il faudrait assouplir, attendrir, c’est, par exemple, celui de Daesh : mais là on chercherait en vain nos courageux rebelles officiels…

Peu importe d’ailleurs l’interprétation de l’œuvre : le travail formel, quand il existe dans l’art officiel, sert le plus souvent à tendre un piège au regardeur. C’est le cas ici, le spectateur a le choix entre 2 options : sapin ou sex-toy. Mais peu importe, le procédé rejoint celui des illusionnistes qui attirent l’attention du public tandis que le tour de passe-passe se joue ailleurs. L’affaire McCarthy n’est pas un problème d’esthétique mais, d’abord , un cas d’illégitimité démocratique.

Qui a décidé que « The Tree »occuperait l’espace public ? Et au nom de quoi ? La Mairie de Paris se défend, elle n’a choisi ni l’artiste ni l’œuvre : « la mairie n’a pas dépensé un euro, ni pour le montage ni pour la surveillance de cette œuvre place Vendôme. Nous n’avons fait qu’autoriser son installation dans l’espace public » affirme le premier adjoint chargé de la culture. La Mairie met donc, sans vergogne, l’Inestimable, c’est-à-dire l’histoire et le patrimoine d’une capitale, au service des intérêts du grand marché de l’art international. Grâce à un petit cadeau du contribuable, au passage, elle offre à l’œuvre sa seule légitimité. La rue vient de désavouer, mais on ne sait les mobiles exacts du « vandale » et s’il faut vraiment en faire le porte-parole d’une majorité jusqu’ici silencieuse…

Le problème récidive avec la Monnaie de Paris qui réserve à McCarthy, pour sa réouverture, sa première grande exposition française, « Chocolate Factory » ? Encore un lieu patrimonial objet de ce que Jean Clair appelle « une titrisation de l’art ».
La titrisation consiste initialement à noyer des produits financiers toxiques au milieu de produits sûrs : cette pratique du mercantilisme mondial a engendré, pour une part, la Crise de 2008. L’équivalent existe en art : dans la prestigieuse Monnaie de Paris , on contemplera, paraît-il, des godes chocolatés brandis par des Pères Noël qui sont des ordures, c’est bien connu. Peut-être faudra-t-il s’interroger sur le risque de laisser à disposition des fonctionnaires (pas trop bien payés, c’est vrai) une puissance symbolique considérable : il y a là, pour eux, une tentation permanente de céder aux sirènes de la finance triomphante…
Le public des contribuables, lui, saigné à blanc, assiste aux farces et attrapes d’une petite caste, jouant au chamboule tout dans les rues et avec les monuments de la capitale. A la moindre protestation, la nomenklatura se drape avec arrogance dans la dénonciation de « l’intolérance », de « l’obscurantisme », bref « la France d’en bas »qui ose ne pas applaudir : le mal à abattre, ce sont les empêcheurs de faire du business en rond.
Que des jouets pour millionnaires revendiquent une place dans l’espace public est déjà une anomalie  : comment, leurs hyper- collectionneurs n’ont pas de quoi les loger ? Mais que l’AC qui, sociologiquement, représente une toute petite part des pratiques artistiques de la population, rafle sans arrêt toute la place et même la place Vendôme, c’en est une autre…

L’Art officiel et financier en occupant sans arrêt, d’œuvres provisoires en œuvres provisoires, le terrain, tout le terrain qui compte, est la vraie censure, la véritable intolérance.
Peut-être faudra-t-il inventer un mot nouveau : désobéissance culturelle.

Christine Sourgins
Historienne de l’art

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