Du « dégagisme » dans l’Art dit contemporain

20 novembre 2018

Cet automne  contestataire ébranle même les gloires de l’AC. Sa majesté Koons vient d’être détrôné : l’œuvre d’un artiste vivant la plus chère n’est plus son «Balloon Dog » vendu 58,4 millions de dollars en 2013, chez Christie’s à New York mais une toile du peintre britannique David Hockney, «Portrait of an Artist » plus connu comme « Piscine avec deux figures» : dire que les officiels français croient morte la peinture ! Or, si le chien de Jeff a coulé à pic dans cette piscine très pop à 90,3 millions de dollars, pas un sou n’ira au peintre qui n’avait retiré de ce tableau que 20.000 dollars en 1972: le monde anglo-saxon ne connait guère le droit de suite…

Comme un malheur n’arrive jamais seul, Koons a été condamné le 8 novembre, pour la contrefaçon d’une publicité (pour voir les débuts de l’affaire cliquez) : l’artiste, sa société, le Centre Pompidou exposant de l’œuvre en 2014, et l’éditeur Flammarion ont été condamnés à verser 148 000 euros au plaignant. Cependant, rien de catastrophique : la justice française n’ordonne pas la confiscation de l’œuvre et inflige une amende dérisoire relativement aux profits faramineux de l’Art financier. Jeff a reçu en outre le renfort du Monde et de Philippe Dagen critiquant cette décision de justice qui s’approcherait dangereusement de la censure et menacerait tous les artistes « appropriationnistes ». Or l’appropriation est un des ressorts de la financiarisation du monde. Pour que les grandes multinationales puissent s’approprier les ressources ou le savoir-faire de populations démunies, il est important de légitimer ce « concept » en lui donnant un vernis culturel.

Autre grande pointure en difficulté, Jean de Loisy, un de ces hommes orchestres qui sont commissaires d’expo, critiques, directeurs de grandes institutions publiques ou privées, animateur radio etc. Depuis trente cinq ans la vie culturelle française est dominée par ce carrousel qui prend les mêmes et recommence. Qu’on en juge : Loisy figura à 26 ans, en 1983,  dans la promotion Lang, qui, en une journée, créa les responsables des Fracs. Il fut en poste au ministère de la Culture, chargé de la création contemporaine dans les monuments historiques. Puis responsable des expositions au Carré d’Art de Nîmes, conservateur à la fondation Cartier, puis au Centre Pompidou avant d’être président du Palais de Tokyo depuis 2011. Le commissariat de la prochaine  Biennale de Lyon lui était promis en 2019 mais voilà qu’il briguerait aussi le poste de directeur de Beaux-arts, puisque Bustamante, empêtré dans des affaires de harcèlements, n’a pas été reconduit. A quand Jean de Loisy à l’Académie, où Othoniel vient d’être élu ?

Certes, il est de tradition  qu’un fonctionnaire bouge, change de poste pour éviter la création de baronnies, de collusions qui sclérosent un milieu en vase clos. Hélas, ce  principe est contreproductif dans le domaine de l’AC : bouger permet d’élargir son carnet d’adresse et de mailler son réseau plus serré. Mais les temps seraient-ils en train de changer ? Dans une lettre ouverte publiée le 8 novembre sur un blog lié à Mediapart, des  artistes et personnalités du monde de l’art, parmi lesquels Dominique Gonzalez-Foerster, ou Bruno Serralongue ou encore Françoise Vergès ou Elisabeth Lebovici (longtemps critique d’art et journaliste à Libé) appellent Jean de Loisy à renoncer. Ils ne voient pas en lui «  une personnalité représentative (…) de la diversité », porteuse d’un « projet émancipateur ». Les signataires s’inquiètent de l’opacité des recrutements dans les institutions artistiques et culturelles publiques,  ainsi que de la «  concentration des pouvoirs dans les mains des mêmes».

Christine Sourgins