Ça bouge dans le « contemporain » !

5 juillet 2022

 La géopolitique de l’Art contemporain bouge : le Brexit affaiblissant Londres (jusque là première place européenne et troisième mondiale), Paris s’affirme : Art Basel arrive en délogeant la Fiac, et les méga-galeristes suisses, Hauser et Wirth, débarqueront en 2023 rue François 1er, à l’ancienne adresse de la radio Europe1 : ils ont cartonné dès  l’ouverture de la foire de Bâle vendant 40 millions de dollars… une araignée (de Louise Bourgeois).

 Sinon les grandes galeries migrent plutôt à la campagne, créant des destinations huppées unissant art et art de vivre. Un écrin architectural rénové, un parc paysager avec statuaire en gloire et le collectionneur bichonné (cuisine gastronomique oblige) ouvre  beaucoup mieux son âme et son portefeuille.  La Galerie Continua lança cette  mode du bain d’art et de nature en 2006 à Moulins. La formule est tendance car, avec la pandémie, les collectionneurs ont appris le charme du ralentissement en résidence secondaire…et, après avoir thésaurisé 2 ans, garder du cash ne sert à rien avec l’inflation.

 Pourtant, une sourde menace plane sur ces galeries : Hollywood, outre les stars de l’écran, courtise maintenant les plasticiens bankables. Pas question d’aider un parfait inconnu, à l’instar des galeries autrefois ; les agents hollywoodiens veulent pousser l’AC dans la sphère du divertissement (comme si ce n’était déjà fait !) et manager les carrières d’artistes comme une marque ou un produit. Ce filon nait en 2016 quand WME (William Morris Endeavor) racheta la Frieze, foire londonienne d’AC, avant de l’installer en 2019 dans les studios de la Paramount, soit au cœur d’Hollywood. UTA, une agence rivale, crée, non pas une galerie mais une plateforme, permettant aux artistes de rebondir vers le cinéma (of course), la mode, l’événementiel, poussant même en littérature  un poulain de Gagosian.  Si aucun plasticien n’a abandonné sa galerie pour une exclusivité hollywoodienne, le « complément » pourrait vite devenir « concurrent » : les commissions des agents vont de 10 à 30 % quand les galeries gardent 50% sur les ventes…

Pour le grand public,  la « gamification de l‘art »sic est en vue : le  Digital Art Month, (1) festival d’art numérique propose des  œuvres en réalité augmentée aux quatre coins de Paris et, via smartphones, une carte interactive guidant le public. Glaner des points en dénichant  une œuvre pour récolter places de musées ou abonnements de presse, est-il une gadgetisation ludique de l’art ? On nous assure qu’au-delà du jeu,  «l’art en réalité augmentée  peut aborder de réels sujets de société. » Mais les sujets de sociétés seront-ils  triés sur le volet comme à la foire de Bâle ? Là, Roxana Azimi et Harry Bellet l’attestent (2), personne « n’évoque la guerre en Ukraine, la flambée du prix des céréales, la pénurie des matières premières (…) en revanche, (les collectionneurs)  semblent très attentifs au sort des minorités raciales ou sexuelles, du moins tel qu’il s’exprime dans l’art contemporain… ».

Les lignes bougent aussi pour le maître étalon de l’AC, Jeff Koons qui décroche la Lune. Fin 2022, plusieurs mini-sculptures à bord d’un vaisseau spatial commercial aluniront dans un cube transparent isotherme mais seront vendues sur Terre sous forme de NFT. L’Art financier s’apprête à coloniser la Lune via d’autres compagnies spatiales sans que personne n’évoque l’empreinte carbone de cette hubris artistique sidérale ! A moins que le principe de réalité n’y mette bon ordre : les NFTs, déjà  prises dans les soubresauts des crypto-monnaies, sont dans le collimateur de l’ADAGP car ne respectant pas toujours  le droit d’auteur. Depuis avril 2022, plus d’un millier d’œuvres contrefaisantes ont ainsi été retirées des plateformes de vente en ligne…

Terminons par une bonne nouvelle : le projet choisi pour le nouveau parvis de Notre-Dame est, semble-t-il, le plus végétalisé…cliquer ici.

Le Grain de sel va se mettre au vert lui aussi : bonnes vacances, si elles vous conduisent à Conches, n’oubliez pas le nouveau musée du Verre qui vient d’ouvrir.

Prenez soin de vous et rendez-vous à la rentrée.

Christine Sourgins

  • Organisé par la foire CADAF et Beaux Arts & Cie (propriétaire du Quotidien de l’Art)
  • « A Art Basel, loin des tourments du monde », le Monde du 18 juin 2022, p. 24.