Crime, apologie et Art contemporain

11 août 2014

Quel rapport y a-t-il entre l’attentat du World Trade Center et la musique sérielle ? Y a-t-il un lien entre les surréalistes et la tuerie qui endeuilla le conseil municipal de Nanterre ? Voir le crime accéder au rang des beaux-arts est un vieux fantasme. Mais quand le Louvre n’hésite plus à intituler une exposition « La peinture comme crime » , on devine que la proposition s’est renversée. C’est l’Art, celui qu’on dit Contemporain, qui rêve d’accéder au statut de crime. Ce fantasme d’intellectuel ensemence notre culture depuis suffisamment longtemps pour que, maintenant, nous en récoltions les fruits désastreux..

  La plus grande oeuvre de tout le cosmos

      Le 11 septembre a été un grand révélateur de la collusion des artistes d’Art Contemporain avec le crime. Dès le 22 septembre s’étalaient dans Le Monde des méditations fascinées par la cendre, l’âcreté de la fumée, les ruines. Mais la palme de la morbidité revient à un musicien et non des moindres : Stockhausen, célèbre musicien allemand, pape de la musique sérielle, sommité pour laquelle les autorités de Hambourg s’apprêtaient à organiser tout un cycle d’hommage, fin septembre 2001. Lors de la conférence de presse le musicien se lance dans un vibrant éloge…des terroristes. Il a dit textuellement (1): « Ce qui s’est passé là -faites bifurquer vos cervelles- est la plus grande oeuvre d’art au monde. Que des esprits réalisent en un seul acte ce dont nous ne pouvons pas rêver en musique, que des gens s’entraînent pendant dix ans comme des fous, totalement fanatiques, pour un seul concert et ensuite meurent. C’est la plus grande oeuvre d’art qu’il y ait dans tout le cosmos. Moi, je n’aurais pas pu le faire. Comparé à cela, nous ne sommes rien, nous les compositeurs. » Les journalistes lui demandant si art et crime étaient synonymes, Stockhausen répondit : « Ce sont des criminels parce que les gens n’étaient pas d’accord. Ils ne sont pas venus au concert. C’est clair. Et personne ne leur a annoncé qu’ils pouvaient y laisser leur peau. Ce qui s’est passé là, intellectuellement, cet abandon de la sécurité, de la normalité, de la vie, c’est un peu ce qui se passe dans l’art. Ou bien ce n’est pas de l’art. » Devant le tollé général le compositeur se rétracta :  il n’avait pas dit « la plus grande oeuvre d’art au monde » mais « la plus grande oeuvre d’art de Lucifer ». Considérant la rectification comme aggravante, la ville de Hambourg et l’hebdomadaire Die Zeit, organisateurs des concerts, en maintinrent l’annulation. Moralité : la musique adoucit les moeurs mais pas la musique sérielle.

    En France, ces déclarations n’ont guère été ébruitées ; on sous-entendait que Stockhausen était gâteux. (à 73 ans ?). En tout cas elles vont très vite être recyclées par l’intelligentsia. Télérama, dans son numéro du 6 mars 2002 (p 63), les qualifie de « provocation surréaliste », l’apologie du crime devient donc de l’art, au moment où Beaubourg inaugure une grande exposition sur le Surréalisme. Précisons que ce mouvement possède à son actif d’incontestables réussites poétiques ; mais doit-on pour autant accepter et glorifier son passif ?

  De Nuremberg à Nanterre en passant par André Breton

      Car Télérama vante la modernité, l’audace de « la plus importante révolution mentale du XXe siècle », en regrettant qu’au fil du temps des « poncifs masquent hélas « l’état de fureur » qui n’a cessé d’animer les surréalistes : lorsqu’ils convoquent l’imaginaire, c’est pour ses vertus déstabilisantes, vénéneuses, et non pas pour un doux délire. ». Télérama récidive dans son numéro hors-série sur le Surréalisme (ouvrage qui ne manque ni de qualités esthétiques ni d’honnêteté intellectuelle puisque des contradicteurs ont la parole ). Mais les pages 92-93, intitulées « l’esprit est toujours là », rappellent comment Marguerite Duras prenait parti pour Christine Villemin, soupçonnée d’avoir tué son fils Grégory « non pour la disculper, mais au contraire, pour glorifier le crime. (…) On se souviendra longtemps de cet invraisemblable article publié dans libération titré « Christine V, sublime, forcément sublime » ». Duras prend la suite des surréalistes qui soutenaient des criminels célèbres comme l’anarchiste Germaine Berton ou la parricide Viollette Nozière « sur le thème du crime de libération politique mais aussi familial. « Nos héros sont le criminel anonyme de droit commun, le sacrilège conscient et raffiné… », écrivait André Breton qui conseillait aussi : « lâchez tout…lâchez votre femme…lâchez votre maîtresse…Semez vos enfants au coin d’un bois » ». Suit une photo du World Trade Center en feu rapproché de « l’ Age d’or » de Bunùel qui met en scène le meurtre gratuit d’un enfant. (On aimerait demander à la journaliste si Dutrou, assassin et violeur d’enfant, est un grand artiste surréaliste ). Puis reprise des propos de Stockhausen, « la plus grande oeuvre d’art jamais réalisée », qualifiés de provocation, et d’« écho à la phrase d’André Breton dans le Second Manifeste du Surréalisme, en 1930 : « l’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer, au hasard, tant qu’on peut, dans la foule. » »

    A l’heure où le conseil municipal de Nanterre était décimé par un grand geste surréaliste, reprendre les appels aux meurtres de Breton (et ceux d’Aragon dans Front Rouge « feu sur Léon Blum…etc ») va t-il dans le sens de l’histoire ? Dans quelle histoire d’ailleurs s’inscrit Breton ? Ne peut-on rapprocher sa phrase d’une autre fort célèbre : « quand j’entend le mot culture, je sors mon revolver ! ». Cette déclaration, si on en croit le documentaire « De Nuremberg à Nuremberg », a été prononcée par Baldur von Schirach….chef des jeunesses hitlériennes (2) ! Nous approchons du domaine des questions jamais posées par une intelligentsia qui peut ainsi rapporter tranquillement les propos de Breton sur un ton neutre, comme s’il s’agissait de culture et rien que de culture, sans aucune connexion possible avec le crime.

    Dans le cas de la tuerie de Nanterre, le journaliste du Point (5 avril 2002 p 67) saisit d’emblée le rapport entre les lectures de Durn et son acte puisqu’il commence son article dans ces termes :  « « Je suis votre déchet. Je vous détruirai. » C’est ainsi que débute « Je vous hais », le livre de chevet de Richard Durn, l’auteur du carnage au conseil municipal de Nanterre, mercredi 27 mars. »

   Durn avait une licence, une culture politique, probablement mal digérée, mais il s’intéressait à la sphère intellectuelle et s’en nourrissait. Il n’avait pas besoin d’avoir lu Breton dans le texte, il était pétri d’une culture, la notre, qui trouve depuis des décennies très spirituel d’envoyer promener les notions d’autorité et d’interdit, les normes, les codes en tant que tels, bref tous les garde-fous intellectuels et moraux, non pour ce qu’ils contiennent mais pour ce qu’ils sont : des limitations à la volonté de puissance qui travaille tout être humain.

  L’art entre exutoire et incitation

      Il faudra bien un jour que ces intellectuels s’expliquent. Car de deux choses l’une : soit la sphère intellectuelle et culturelle est complètement déconnectée du réel. Auquel cas on peut dire et faire n’importe quoi en art, en tout impunité, car en tout innocuité. Mais alors, si cette sphère est déconnectée de la sphère publique, de la chose publique, de la Res publica, alors la République n’a pas à subventionner les délires personnels des uns et des autres. Dans ce cas, artistes et intellectuels perdent toute légitimité à recevoir des subsides de la collectivité.

    En revanche, si les intellectuels et les artistes se légitiment en apportant leur contribution à la vie sociale, alors cela veut bien dire que la sphère culturelle est connectée au réel et dès lors ils doivent mesurer la portée de leurs propos et de leurs travaux pour éviter des « dégâts collatéraux ».

    Ces dégâts les tenants de l’Art Contemporain s’interdisent de les voir grâce à un aveuglement intellectuel tenace : en art, ils ne voient que le phénomène de « catharsis » et jamais, au grand jamais, celui de « mimétis ». Si on considère la catharsis, (le défoulement), la phrase de Breton permettrait de libérer son agressivité dans la littérature et de ne pas passer à l’acte. (Nul d’ailleurs pour s’émouvoir de cette vision de l’art proche de l’opium). Or ce phénomène de catharsis existe ; c’est d’ailleurs ce qui, pour certains, légitime la pornographie. Au pays de Rabelais, la gauloiserie sera toujours de mise et il n’est pas de notre propos d’y contrevenir ; ce que nous considérons, c’est l’excès envahissant de la catharsis dont la pornographie, tel qu’en témoigne Ted Bundy, est un bon exemple : « Comme une drogue, vous conservez une excitation insatiable, jusqu’à ce que vous atteigniez le point où la pornographie ne peut aller plus loin. ». Ted Bundy a assassiné et violé une cinquantaine de femmes avant d’être exécuté sur la chaise électrique en Floride : il sait donc de quoi il parle. Les médias, comme l’Art Contemporain qui n’est pas seul en cause, sont entrés dans une spirale de surenchère de la catharsis qui aboutit à reculer sans cesse le seuil d’excitation du public, jusqu’à un point de non retour où l’art, la littérature, le cinéma, sont impuissants à endiguer les forces psychiques qu’ils ont attisées. C’est alors que se déclenche le passage à l’acte chez des êtres, sans doute psychiquement fragiles, mais notre société en secrète beaucoup et ils ont le droit de vivre sans qu’on les pousse au crime. Le film « Scream » commence ainsi à comptabiliser nombre d’incitations au meurtre ( dont la dernière remonte au 3 juin 2002 , un adolescent de 17 ans ayant tué de 45 coups de couteau sa camarade de 15 ans). Notons pour mémoire que le masque grimaçant du film est inspiré du « Cri », oeuvre du peintre norvégien Edvard Munch. Six grandes associations professionnelles étasuniennes ont établi par des expériences en laboratoire et des études de terrain un indéniable rapport de causalité entre violence médiatique et comportement agressif de certains enfants et adolescents, l’agression pouvant être commise longtemps après l’exposition aux images violentes (3). On passe donc régulièrement, et facilement, de la « catharsis » à la « mimétis », et le profit de « l’exutoire » paraît bien maigre face aux ravages de « l’incitation », ce dont les adeptes de l’art Contemporain ne veulent en aucun cas convenir, pour ne pas assumer leurs responsabilités.

    Il est d’ailleurs significatif que la déclaration de Ted Bundy est citée dans un article d’Art Press, revue cotée d’Art Contemporain, sans que jamais l’auteur n’envisage d’analyser le mécanisme pervers qu’elle implique (4). Idem lorsqu’ est rappelé l’assassinat de Sharon Tate, actrice et épouse de Roman Polanski, par Charles Manson et sa secte d’illuminés en 1969. « Polanski vient de tourner Rosemary’s Baby, film hanté par la figure du diable, la possession surnaturelle et la procréation… comme acte satanique. Les mêmes obsessions apparaissent chez Manson, mais sous la forme d’un culte démoniaque dans le réel. » Donc le parallélisme entre le cinéma de Polanski et le scénario du meurtre est parfaitement vu. Mais l’idée qu’un film ait pu (même involontairement) attirer une cervelle dérangée et l’induire au meurtre n’est pas envisagée. Il y aurait donc le génie de Polanski d’un côté, la folie de Manson de l’autre : leur rencontre, un malencontreux hasard, aurait le mérite de démontrer la pertinence du cinéaste. La seule question qui tente Art Press c’est de voir dans quelle mesure ce crime a pu influencer les films suivants… d’étudier les conséquences du réel, du crime, sur l’art. Mais concevoir le rapport inverse est impossible dans ce raisonnement à sens unique.

    Une autre défaillance de la pensée verrouille l’aveuglement de cette intelligentsia. Autrefois, un artiste qui mesurait son propos, faisait preuve de prudence. La prudence était une des vertus cardinales dans l’humanisme chrétien. Aujourd’hui, nos intellectuels récusent tout humanisme réduit à « une dépouille livide » (sic Art Press mars 2002 p 25). Ils n’ont donc plus la notion de prudence, et n’ont pas d’autre outil intellectuel que le terme « d’autocensure » pour la penser. Et comme la censure est, par définition dans ce milieu, inadmissible, les portes de l’Art Contemporain sont donc ouvertes en permanence à tous les excès et donc au crime.

  Le dernier cri en art : l’assassinat

      Les exemples qui suivent sont tirés d’un numéro spécial d’Art Press « Représenter l’horreur », (nous n’avons pas choisi les plus sordides ) (4). Yann Toma, artiste très Contemporain, réalise des meurtres sur commande : le client-amateur d’art lui commande la mise en scène de son propre assassinat. Art Press : « Une procédure permet à des « victimes volontaires » d’organiser leur propre assassinat. Le tueur est aussi celui qui est tué, puisque le protagoniste établit la mise en oeuvre de sa mort, sous le contrôle de l’artiste, avec des photomatons, des fiches signalétiques, la description du meurtre, les clichés de celui-ci, l’intervention du rapport d’autopsie et du médecin légiste, jusqu’au tournage d’une vidéo dite « Thanatonalyse » où l’assassiné raconte post-mortem son décès. Bien plus qu’une variation attendue sur le jumelage masochiste du bourreau et de la victime, Yann Toma donne au crime son statut de pure fiction pour de vrai, jouant sur l’exhibitionnisme qu’il peut y avoir à rendre visible notre mort…. alors que nous sommes encore vivants ».

    Mais l’Art Contemporain fait mieux : Nathalie Van Doxell, artiste lancée, (elle expose chez Sotheby’s), organisa « en avril 2000 un tour operator en autocar permettant de visiter les lieux fréquentés par Thierry Paulin. Ce jeune métis sévit de 1984 à 1987, tuant dix-huit femmes âgées, et mourut quelques années plus tard du sida en prison (Claire Denis réalisera l’un de ses meilleurs films, j’ai pas sommeil, d’après la dérive parisienne du meurtrier). Déjà, en 1988, Nathalie Van Doxell avait produit une série d’autoportraits photographiques et vidéos dans différentes baignoires d’appartements et d’hôtels où avaient séjourné des serial killers. Elle tourne aussi à New York des vidéos sur les lieux de meurtres, y rencontrant des amis pour l’occasion. L’ironie du tourisme de la mort, c’est qu’il n’y a rien à voir. Ainsi la plasticienne se transforme en guide d’un voyeurisme sans image, dans lequel n’émerge qu’une promiscuité différée avec les monstres. Et cette intimité avec le pire, nous la vivons dans une sorte d’ignorance léthargique. La criminalité est rendue absente, comme si elle était inaccessible et ne pouvait être identifiée en dehors des rapports de peur ou de fascination. C’est notre inaptitude au réel que débusque Nathalie Van Doxell à travers la personnalité de Thierry Paulin ».

    N’est-ce pas plutôt l’inaptitude de l’Art Contemporain au réel de la psyché humaine qui est flagrant ici ? Qui peut assurer que ces artistes et leurs émules n’entretiennent aucun rapport de peur et de fascination avec le meurtre et qu’ils ne se livrent pas, derrière le prétexte BCBG de « culture », à un double jeu ? Dans les déclarations de Stockhausen, la fascination n’est-elle pas évidente ? Et que dire de la complaisance avec laquelle le « tirez dans le tas » de Breton est sans arrêt repris (5)? Que la fascination vire à l’hypnotisme.

   Art Press écrit que  l’art « combat » le meurtre, rivalise avec lui « pour lui enlever ses pouvoirs, les métamorphoser en oeuvre », qu’au fond le meurtrier ne frappe que dans un monde « qui ne parvient plus à retraiter symboliquement le carnage, la dépense improductive ». Autrement dit, on désamorcerait le crime en le transformant en fiction. Le cas de Jack Unterweger rapporté par cette même revue n’en est-il pas un contre-exemple ? Unterweger emprisonné en Autriche, écrit, publie, et, le succès joint à l’engouement de l’Intelligentsia, obtient sa libération. « Ecrivain reconnu, on lui décerne des prix littéraires. Mais les profilers finiront par le confondre, enquêtant sur une série de meurtres de femmes particulièrement barbares (…). Ils révéleront l’exacte correspondance entre ces assassinats et les descriptions de meurtres dans les livres d’Unterweger. » Où l’on voit que l’usage de la fiction n’a pas désarmé le tueur. Le meurtrier est donc pour Art Press « une fiction qui tue », ce qui le différencierait de l’artiste. Car l’artiste, lui, montre la dramaturgie homicide sans être fasciné. Cette absence de fascination est donc la seule garantie, le seul garde-fou contre le passage à l’acte : n’est-on pas en pleine utopie mortifière ?

    La fascination de l’Art Contemporain pour le crime est lancinante : dans sa livraison de mars 2002 Art Press, sous la plume de Catherine Millet, relate, page 76, une exposition, « dans une sorte de couloir du crime », où l’on trouve « une petite oeuvre d’art réalisée par un artiste inconnu mais vrai criminel actuellement enfermé dans une prison hollandaise ». Le thème étant « celui de l’artiste qui se compare à un criminel et revendique pour son art un statut en dehors de la Loi ».

    A la page 16 de la même revue, les rapports de l’Art Contemporain et du crime franchissent un nouveau seuil. Une chroniqueuse s’offusque : le Times ose mettre en cause Gilbert and George ! Ces « artistes londoniens dont le travail controversé traite de sujets choquants, macabres et atroces. L’un de leurs plus récents travaux consiste en la vidéo d’un couple maculé de sang et d’urine (…) ». Pourquoi le Times s’en prend-t-il à ces phares de l’Art Contemporain qui ont eu droit à une rétrospective au Musée d’Art Moderne à Paris il y a peu ? « Parce que le corps d’une jeune femme d’origine asiatique avait été retrouvé découpé, puis empaqueté à l’aide d’un papier adhésif décoré de motifs créés par Gilbert and George, papier vendu dans les boutiques de la Tate Gallery ». Et Art Press s’indigne : avec cette tirade « le lecteur moyen du Times ne pouvait éviter d’établir un lien entre la sauvagerie de l’acte meurtrier et l’oeuvre des artistes ». Toujours la même chanson : l’art ne peut avoir de responsabilités face au réel ; mais c’est l’article du Times qui est seul fautif : il lui est reproché d’inciter « les esprits les plus malsains » à (horresco referens)… acheter l’adhésif G&G ! On notera surtout le terme de « lecteur moyen » : sous-entendu, l’homme cultivé, d’intelligence supérieure, n’a pas à faire le rapprochement, mais il doit se féliciter de l’expérience qu’il lui est proposée : dans le dossier de presse de l’exposition d’Alain Séchas, Chapelle de la Salpétrière, Festival d’Automne 2002, on lit cette déclaration de l’artiste : « Etre transformé par une oeuvre d’art, qu’est-ce que cela veut dire ? » Réponse :  « Tu peux avoir envie d’aller tuer ton voisin, c’est cela aussi être transformé » (6). Si vous adhérez à l’idéologie de l’Art Contemporain, vous êtes promu dans une élite qui ne s’abaisse pas à considérer ses rapports avec les contingences criminelles, vous appartenez à une nouvelle race de Seigneurs qui est au delà du bien et du mal.

  Un art suicidaire

      Et si l’Art Contemporain était homicide et mensonger dès le commencement ? Ne faudrait-il pas proposer une relecture de ses sacro-saintes origines (Duchamp et le mouvement Dada) ? Vulgate officielle : Dada a été fondé par des pacifistes exilés (en Suisse en particulier), des gens dégoûtés par la boucherie de 14-18 et qui se révoltaient contre un ordre en place qui avait permis une guerre aussi horrible et absurde. Donc, les provocations, les scandales, l’outrance sont excusables et même nécessaires pour amener l’avènement d’un monde nouveau. Voilà pour le credo en place dans toutes les bonnes encyclopédies. Mais 80 ans après, c’est aux fruits que l’on reconnaît l’arbre et l’on est conduit à se demander : les fondateurs de Dada étaient-ils des exilés ou des planqués ? Camus déjà les qualifiait de nihilistes de salon. Etaient-ce des pacifistes ou des hommes qui ont choisi leur guerre ? Après tout, ils s’en sont assez peu pris à la Grande Guerre elle même. Des rebelles à la tuerie ou des continuateurs du carnage par d’autres moyens, des moyens où eux n’auraient pas risqué leur peau ? Dada, prototype du terrorisme intellectuel, a-t-il sauvé le monde… ou continué à démolir ce que 14-18 avait déjà commencé ? Une manière cultivée de poursuivre un suicide collectif.

    Est-ce que la référence cachée, telle un tabou, de moult happenings, performances, provocations et scandales en tout genre de l’art du XXème, ne serait pas… l’attentat ? Et Stockhausen dans son éloge d’un attentat doublé d’un suicide collectif est bien au delà de la provocation : il passe aux aveux.

    Longtemps il fut de bon ton de demander : l’Art Contemporain est-il bidon ? Faux problème, car en répondant « oui » on se rassurait à bon compte, tant ce qui est bidon est perçu comme inoffensif. Or la seule question qui vaille est : l’Art Contemporain est-il dangereux ?

  Christine Sourgins

 Article paru dans la revue « Conflits actuels  » N°11 ,printemps-été 2003,

 (1) Désinformation Hebdo N°723 p 11

(2) »De Nuremberg à Nuremberg » film de Jean Frydman réalisé par Frédéric Rossif : à la 8ème minute on voit le nazi joindre le geste à la parole.

(3)L’American Psychological Association, l’American Academy of Pediatrics, L’American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, l’American Medical Association, l’American Academy of Family Physicians et l’American Psychiatric Association. Courrier international N°601 p 54, 10 au 15 mai 2002.

(4) « Représenter l’horreur » numéro spécial d’Art Press mai 2001 p 86 à 91

(5) L’injonction de Breton a déjà en 1991 les honneurs du dossier spécial de Télérama sur « La Beauté convulsive », p 4 on pourrait multiplier les exemples.

(6) « Les somnanbules » 17 oct-3 nov 2002 ; citation tirée du catalogue de J.P. Criqui « Garde à vue » Strasbourg, Musée d’Art Moderne et Contemporain 2001, pp.85 à 94.