Derrière les chiffres, le désastre des politiques culturelles françaises

27 octobre 2015

A l’approche de la Fiac, Artprice avait publié son rapport annuel qui souligne que l’art contemporain s’est imposé comme la locomotive du marché de l’art, avec un produit de ventes global de 7,6 Mrd et 1 800 % de croissance ces 15 dernières années : pendant celles-ci, il s’est  construit plus de musées dans le monde que tout au long des XIX ème et XX ème siècles réunis. Plus de 700 nouveaux musées par an, alimentés pour partie par les 49000 artistes contemporains recensés aux enchères. Or 68 % des recettes globales de l’art contemporain reposent sur 100 artistes, 35 % sur 10 artistes et trois (Jean-Michel Basquiat, Christopher Wool et Jeff Koons) totalisent même 18%, soit 320,5 m$, (presque 10 fois le résultat d’une année de ventes d’art contemporain en France, 35,6 m$). C’est dire si le marché est concentré ! La Chine vient de ralentir au profit des USA qui reprennent la première place, loin derrière on trouve Allemands (10,8 % du marché) et Britanniques (10,7%), au fond du classement : Italiens (2,6 %), Japonais (2 %), Indiens (1,5 %), Suisses (0,9 %), Brésiliens… à égalité avec les Français (0,8 %).

Artprice n’hésite pas à écrire que « la France peine cruellement à faire exister ses artistes dans l’univers hyper-compétitif du marché » ou que « l’offre manque de panache en France », ce qui n’est pas près de s’arranger avec la Fiac (173 galeries, dont 42 françaises) qui n’a cure de présenter aux visiteurs étrangers « le vivier français » (1). Même un Daniel Templon, pilier de la Fiac depuis 40 ans, se plaint de la direction impulsée par une Jennifer Flay qui préfère « dérouler le tapis rouge aux poids lourds internationaux » : « si nous avons si peu de crédit hors de nos frontières, cela résulte du mauvais sort qu’on nous réserve chez nous »dit-il. Le problème ne date pas d’aujourd’hui mais il s’accroît tellement que ceux qui se croyaient à l’abri sont touchés. Des galeristes parisiens ulcérés par les positions privilégiées octroyées aux galeristes étrangers, tentent de faire scission… mais le mal est fait : « n’achète pas un artiste français s’il n’est pas acheté par les américains » conseille un grand patron de la mode…. De fait, même un courant historique comme le Nouveau Réalisme dont on nous vante le grand retour, voit ses œuvres phares, à l’exception de celles d’Yves Klein, valoir moins de 10% du prix d’une œuvre pop américaine comparable (2).
D‘autres chiffres (3) cernent les conditions de vie, non des happy few de l’AC, mais du peuple des invisibles, les peintres et sculpteurs occultés. Les professionnels de la culture représentent 2,2 % de la population active… et perçoivent 23 700 euros en moyenne par an. Ces revenus d’activité sont inférieurs de 26% à ceux des autres actifs, avec une forte disparité homme/femme (19% au profit de la gent masculine). Encore cette rétribution repose-t-elle sur le cumul de plusieurs activités, et concerne tous les arts dont le spectacle vivant. Si on se recentre sur les plasticiens, le secteur est sinistré : en 2012 la moitié des artistes affiliés à la Maison des Artistes gagnent moins de 10 880 euros par an. Le déséquilibre homme/femme s’y creuse davantage : les hommes gagneraient en moyenne 50% de plus que les femmes !

Or il est un chiffre du rapport Artprice que nos élites artistiques se gardent bien de nous seriner puisque la bureaucratie culturelle a choisi le conceptualisme : dans les ventes aux enchères, ailleurs dans le monde, la Peinture représente 61,2 % de part de marché de l’art contemporain !!!

Christine Sourgins
1- comme le rapporte l’article du Figaro du 22 octobre 2015.
2 -Le Monde, 13 octobre 2015, page 10.
3- Le Monde, 18 août 2015, p.13