La mort programmée d’Apollon

16 septembre 2014

Les bains d’Apollon ou Apollon servi par les Nymphes, est l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la sculpture, du au talent des sculpteurs de Louis XIV, Girardon et Regnaudin. Ce groupe se trouvait naguère dans un bosquet de Versailles, à l’air libre : Apollon  et ses nymphes  avaient beaucoup souffert des vandales  mais aussi des restaurations ratées dans les années 70. Apollon avait perdu son pied, son nez et les doigts de la main gauche, ce qui pour jouer de la lyre est handicapant. La matière même des sculptures est fragilisée. Il y a quelques années, la sage décision avait été prise d’exposer sur place des moulages.  Désormais, les Bains d’Apollon allaient pouvoir prendre une retraite méritée et être présentés, chouchoutés,  en intérieur et donc définitivement sauvegardéspour les générations à venir…

C’était sans compter  sur l’établissement public qui gère Versailles et que d’aucuns surnomme Versailles-land ; c’était sans compter  sur  France museum , une sorte de club MED  pour œuvres d’art qui organise des tours du monde pour les seniors que sont nos chef d’œuvre reclus dans nos  musées poussiéreux, ? Grâce à France Muséum, nos vieilleries prennent l’avion, le bateau, voient enfin du pays : notre patrimoine artistique vit enfin comme nous ou presque, comme ceux qui ont encore les moyens de partir en vacances.

Mais, il semblerait qu’en « haut lieu » on ait décidé d’allonger le délai d’obtention de la retraite, même pour les statues : Apollon et ses nymphes rempilent, reprennent du service. Cet automne 2014 les verra, et pour un an, à Arras, dans le cadre de l’exposition « Le château de Versailles en 100 chefs-d’œuvre », ensuite, ne les arrêtons pas en si bon chemin, Apollon et sa suite se produiront au Louvre Abu Dhabi, dès l’ouverture fin 2015, pendant au moins un an.

Bien sûr, vous avez compris, ce ne sont pas les moulages qui vont voyager mais les originaux qui sont déjà en piteux état !

Didier Rykner sur le site La tribune de l’Art publie un texte signé de quatre spécialistes mondialement connus de la sculpture, dont trois étrangers, car ce n’est pas un problème franco-français  : le Dr Charles Avery (ancien conservateur au Victoria & Albert Museum), Sir Timothy Clifford (ancien directeur des National Galleries of Scotland), le Dr Jennifer Montagu (spécialiste de la sculpture baroque) et François Souchal (professeur honoraire à l’Université, auteur notamment de l’ouvrage faisant autorité sur la sculpture française sous Louis XIV ; ce dernier  est sans ambiguïté : « Ces œuvres fragiles ne sont pas des objets de musée que l’on peut transporter… En tant que spécialistes de la sculpture, nous condamnons fermement ces déplacements des Bains d’Apollon qui constituent une grave menace pour leur conservation. L’objectif premier des musées est de protéger leurs œuvres. Il est donc indigne de la part des musées français de mettre ainsi en danger, pour des objectifs sans rapport avec l’histoire de l’art, l’un des groupes les plus importants de la statuaire mondiale. »

Jean-René Gaborit, qui n’est pas n’importe qui non plus, (ancien directeur du département des sculptures du Musée du Louvre),  énumère les différents risques que vont courir les Bains d’Apollon. Les marbres sont  fragiles, cassants et difficiles à réparer : « un fil noir finit toujours par apparaître sur les cassures des marbres, quelle que soit la technique de restauration utilisée ». Ce sont des accidents irréparables au sens propre, contrairement aux plâtres et aux terres cuites qui se restaurent plus facilement. Plus un marbre est gros, plus le risque d’accident augmente : or ici il s’agit d’un groupe de 7 sculptures (Versailles-land a du les confondre avec une installation d’AC qui se font gloire d’être éphémère) qui subiront : un démontage à Versailles, remontage à Arras, démontage à Arras, remontage à Abu Dhabi, démontage à Abu Dhabi et montage à Versailles. Le casse du siècle est assuré ! Ajoutez  le transport avec des  vibrations qui seront de toutes façons un risque : si le déplacement vers Arras se fera sans doute par camion, donc debout, l’avion impose parfois de transporter les œuvres couchés. Or redresser une grande sculpture est en soi un acte risqué précise  Mr Gaborit.

Didier Ryckner, fort de son expérience, rappelle que les commissions de prêts donnent en général, dès qu’il y a une volonté politique, leur acquiescement à presque tout,  autant dire à n’importe quoi. C’est l’irresponsabilité générale, en l’occurrence  il n’y aura pas même pas d’assurance qui couvre les dégâts : l’Etat est son propre assureur… le citoyen n’aura plus que ses yeux pour pleurer et nos décideurs nous diront « c’est de la faute à pas de chance ». Si Apollon expire dans l’aventure, on aura droit au sempiternel « c’est pas moi, c’est l’autre qui a pris la décision »…

Il y a une solution, que personne n’évoque,  pour responsabiliser les hommes de l’art quand ils sont aux mains de l’Etat et pour empêcher le personnel politique de jouer avec le patrimoine. Il faut que ces décideurs soient responsables sur leurs deniers, sur leur fortune personnelle. Que  Catherine Pégard,  présidente  de l’établissement public de Versailles, que Béatrix Saule, la directrice des collections, et leur ministre de tutelle Fleur Pellerin, s’engagent noir sur blanc à quitter leurs fonctions,  s’il arrive malheur à Apollon et à  indemniser non seulement le peuple français mais l’humanité,  car un chef d’œuvre  est universel : soit un euro symbolique mais multiplié par 7 milliards d’êtres humains, c’est le prix minimum d’un chef d’œuvre de l’humanité. Et là nous verrons si ces dames sont toujours aussi enthousiastes pour jouer avec le bien commun.

Cette mesure redorerait le blason d’un  gouvernement beaucoup plus affaibli par l’affaire Thévenoud, (c’est-à-dire par l’étalage d’un sentiment d’impunité et d’irresponsabilité ) que par le livre de l’ex première Dame. Il en serait fini de la tournée des grands ducs pour les pièces insignes de notre patrimoine. Mme Pellerin allez-vous cautionner une catastrophe annoncée dont la  décision a été prise sous la ministre précédente ? En ce mois de septembre, qui verra, ce week-end, les journées du patrimoine, y aura-t-il une Fleur pour sauver Apollon ?

Christine Sourgins