François Pinault est d’actualité : sa collection va bientôt ouvrir à la Bourse du commerce de Paris, il a déclenché la ruée des dons pour Notre-Dame et José Alvarez, éditeur d’art et collectionneur, lui a consacré un livre : « François Pinault artiste contemporain »(1). Au premier abord, le livre est décevant : nulle révélation fracassante, mais l’ouvrage ventile moult éléments qui, isolés, passent inaperçus mais, réunis, dévoilent les non-dits du mécénat d’AC. Ainsi, on ne sait toujours pas si la fameuse collection Pinault comporte 2000 ou 3000 œuvres, si elle a « atteint le niveau des collections institutionnelles », car «il se peut qu’elle soit la plus importante du monde », bien qu’un tiers seulement aurait été montré. La raison de ce secret bien gardé n’intéresse guère l’auteur : or c’est une collection qui bouge, car F. Pinault achète et revend, d’où la préférence d’une fondation à Venise plutôt qu’en France où, juridiquement, les fondations pérennisent les acquisitions. Passons sur le style du livre qui manie la brosse à reluire et les coups de pique. F.Pinault y est appelé « condottière », régulièrement comparé à « Laurent de Médicis prince mécène et assassin »sic (2) ou à un héros shakespearien, voire un « petit Napoléon « (3). La plus grosse flatterie étant sa promotion au rang d’artiste : « la création d’un empire s’apparente fortement à la création artistique. Le magnat, tout comme l’artiste, décide seul de son œuvre et de sa destinée, traversant des moments de grande angoisse et de solitude face aux décisions à prendre » ; les grands artistes, comme les tycoons, étant « dotés d’un don supérieur » »(4). L’auteur confectionne un costume de rebelle au petit breton « déclassé », en lutte contre les préjugés, qui aimera donc, devenu mécène, les artistes stigmatisant la société (5).
L’intéressant est que ce livre, plutôt complaisant mais qui ne veut pas en avoir l’air, ne peut s’empêcher de rappeler quelques vérités sur la fortune de notre magnat national. F. Pinault a pratiqué des « redressements » d’entreprises en déroute qui « ne donnent pas dans l’altruisme, (et) laissent un lourd tribut humain sur le carreau », rachetant beaucoup d’ « entreprises pour peu d’argent et toujours ou presque avec des sommes empruntées aux régions, aux banques ou directement à l’Etat ». Bref, « Pinault a fait fortune aux frais du contribuable », « grâce aux mécanismes des subventions d’Etat qui lui permettront d’accroitre considérablement sa fortune » (6). En cela il se comporte effectivement comme un artiste d’AC subventionné. L’achat de Christie’s reprend les méthodes juteuses de F. Pinault quand il était marchand de bois ; « le contrôle de toute la filière ». Un incontestable « délit d’initié qui consiste à acheter, vendre, faire valider les œuvres en interne au sein de sa propre maison de vente »(7). L’auteur reconnait que les 3 premières expositions d’AC à Versailles, en partie financées par Pinault, présentaient majoritairement sa collection et que nombre de directeurs de musées et de commissaires d’expos sont les obligés des riches collectionneurs (8). François Pinault travaille-t-il, malgré tout, au rayonnement de la France ? Eparpillés dans le livre, des indices sèment un gros doute.
Si ce breton a commencé par collectionner les Nabis et l’Ecole de Pont Aven, il va beaucoup acheter lors de la crise de 1991-93, au plus bas, mais essentiellement de l’Expressionnisme et du Pop-Art américains tandis que Pinault affiche un gout personnel pour le minimalisme d’origine américaine. En 1999, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, l’expo « Passions privées » met en vedette les collectionneurs d’AC et Pinault présente « Rébus » de « son ami » Rauschenberg : tout un symbole, car Paris avait perdu son titre de capitale des arts en 1964 quand… Rauschenberg avait gagné la biennale de Venise ! En avril 2006, la Fondation Pinault, à Venise, est inaugurée avec une exposition au titre anglais «Where are we going ? » montée par une commissaire américaine ; elle débutait par une œuvre de Koons, suivie de nombreuses autres d’artistes US ; ne surnageaient que « trois artistes hexagonaux ». Dans son discours pour le lancement de la rénovation de la Bourse de Commerce, à Paris en 2016, on ne s’étonnera pas d’entendre le collectionneur rêver tout haut à d’autres lieux, à commencer par… Los Angeles (9).
Quelles seraient les motivations du collectionneur ? Faut-il croire l’auteur qui y voit d’abord un souci métaphysique : une recherche d’immortalité ? Ne peut-on lire autrement les références de cette collection, quand on sait que l’Art financier sert à réunir des gens du même monde, de portefeuilles comparables et compatibles ? Collectionner en référence aux USA c’est vouloir amadouer le milieu d’affaires américain qui, certes, admire les self-made men, mais n’est pas tendre avec ceux qui font une fortune privée avec les finances publiques… D’autant que Pinault est loin d’avoir été « le seul bénéficiaire d’une dérive étatique dans le processus d’enrichissement d’un certain nombre d’affairistes »(10). En voulant dédouaner F. Pinault, l’auteur ne rassure pas le citoyen.
Christine Sourgins
(1) « François Pinault artiste contemporain », José Alvarez, Albin Michel, 2018.
(2) Ibidem, p.119 et 201. Laurent de Médicis était ami du philosophe Pic de la Mirandole or F. Pinault est intime de Bernard-Henri Lévy…
(3) Ibid, p. 284 et 118 ou encore Périclès p. 199.
(4) Ibid, p 128 et 175.
(5) Ibid, page 93 et 275.
(6) Ibid, p. 114. Affirmation répétée p. 132. Voir aussi p.113 et 118.
(7) Ibid, p. 20 et 166
(8) Ibid, p. 166 et 171
(9) Ibid, p.34, 77, 160, 215, 248, 254.
(10) Ibid p. 132.