Un conceptuel au secours des peintres ?

14 octobre 2014

Cette semaine, un salon historique cliquez « offre en 2014 une Carte Blanche au grand artiste conceptuel italien Antonio Manfredi, également directeur du musée d’art contemporain de Casoria près de Naples. Cet artiste engagé a défrayé la chronique en brûlant tableaux et autres œuvres d’art. Un geste fort pour protester contre les coupes budgétaires de l’État italien dans le secteur de la culture. »
Cette annonce laisse songeur. On sait depuis longtemps à quel point les artistes conceptuels sont amateurs de subventions (et multiplient les casquettes, artistes, « curators » etc) …mais qui dit subventions, dit création dirigée par l’Etat. Or c’est cette culture dirigiste et bureaucratique qui a étouffé les artistes non duchampiens, non conceptuels (et dans le même mouvement les salons historiques) ! Que ce soit un conceptuel italien qui se conduise ainsi contrevient au proverbe qui dit que « les français attendent tout de l’Etat, tandis que les italiens attendent tout de la vie »…

Il est dans les us et coutumes des artistes conceptuels de dénoncer le mal par le mal (avec ce joli principe faudrait-il irradier, pour dénoncer le nucléaire ?). Mais que brûle un artiste conceptuel (qui dans une vidéo se présente comme sculpteur) ? Va –t-il brûler des concepts, des œuvres semi immatérielles ? Non : il brûle des tableaux, comme le premier Savonarole venu et c’est cela que montre les vidéos. Et pourquoi ?
On sait que les conceptuels ont un grand mépris pour les tableaux et sculptures non duchampiennes : qu’un artiste puisse faire effort pour incarner quoique ce soit dans un matériau sensible leur paraît vieux-jeu, réac, bassement manuel et matériel : s’ils utilisent encore ces « vieux » supports, c’est juste pour indexer des objets à un discours ; les objets sont généralement jetés après l’expo, renouvelés par d’autres lors de la prochaine. Comme le disait très poétiquement, mais très radicalement, Yves Klein : « mes oeuves sont les cendres de mon art »…. Ce que vous voyez dans les musées d’art conceptuel, c’est juste des indices, l’art (conceptuel) trône dans le ciel des idées. Par conséquent, pour un conceptuel, brûler quelques supports d’exposition (le nom d’ »œuvre » est en fait inapproprié) n’a guère d’importance. Pinoncelli, qui revendique une filiation duchampienne, a affirmé qu’on peut casser l’urinoir de Duchamp à condition de le remplacer par un modèle identique : ce qui compte c’est l’idée ou alors on verse dans une bigoterie qui fétichise une porcelaine. Je ne dis pas que j’approuve la méthode pinoncellienne mais son raisonnement est exact : pour un vrai conceptuel, l’aspect matériel de l’œuvre est secondaire. Donc détruire pour eux n’est pas un problème et il y a longtemps qu’ils nous serinent qu’une « destruction est une création ».

Pour éviter que des œuvres se retrouvent dans des caves, faute de musée, Antonio Manfredi organise un autodafé : notez qu’une cave sèche eut laissé une chance à l’œuvre de réapparaître, pas le feu. Mais pour Manfredi la vraie destruction c’est la disparition médiatique. Donc, pour attirer le feu des projecteurs, le voilà qui allume un brasier : 3 œuvres détruites par semaine pendant 2 mois… Et le plan com marche mais ce n’est pas l’Etat, censé être interpellé par ce geste qui réagit, ce sont les dons privés qui vont maintenir à flots le musée de Casoria, qui s’offre au passage une bonne pub comme d’ailleurs les artistes ayant accepté son manège. Le photographe qui donne une photo à détruire ne doit pas trop souffrir, le négatif ou l’informatique peut en fournir d’autres mais le peintre, lui, est censé produire une œuvre unique… Soit son œuvre ne lui a guère coûté d’efforts …et on brûle une croute, soit son geste évoque , paradoxalement en l’occurrence, un proverbe africain : « celui qui se noie s’accroche à l’eau »…

Face-à-l'artRappelons que les 45 peintres du groupe Face à l’Art cliquezavaient su, eux, proposer un geste signifiant mais non destructif  « Deux plaques parallèles de 20 mètres sur 3, 50 de haut séparées par un interstice de 40 cm. A l’extérieur : rien. À l’intérieur: des tableaux, de la peinture que personne ne peut voir ». Cette performance s’appelait « Collection privée »… puisque la peinture est privée de visibilité et de public « par la bêtise des patrons de l’Art contemporain qui l’ont chassée des manifestations officielles »….

Christine Sourgins

Hotel room 1931Suite aux réactions des internautes au dernier Grain de Sel , je suis allée voir Shirley le film qui met en scène 13 tableaux de Hopper : pour accéder à ma critique complète et illustrée de ce film, cliquez

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