Vandalisme culturel ou suicide artistique ?

14 avril 2015

De qui, de quoi, l’art dit contemporain (dans sa version officielle et financière, l’AC) est-il le vrai contemporain ?

Loris Gréaud est un plasticien français de 35 ans qui a déjà exposé au Centre Pompidou, au Palais de Tokyo et au Louvre : que faire pour être connu aux USA, quand Dallas vous invite à occuper l’intégralité du Contemporary Museum ? Réponse le 17 janvier 2015, lors du vernissage de son installation « The Unplayed Notes », au milieu de  représentations caprines, d’anges aux ailes déployées, ou d’arbres pourvus d’ampoules en guise de feuilles … Soudain, une vingtaines de complices firent irruption pour tout mettre à sac  obligeant la sécurité à évacuer le musée. Pour la crédibilité de l’artiste, il fallait que les spectateurs ne puissent soupçonner la mise en scène et que les vidéos mises sur le net fleurent bon la prise sur le vif, via un portable : cliquez

« Moi-même, j’étais choqué de ce que j’étais en train de produire », confesse l’artiste qui, comme ses congénères d’AC, excelle à contredire immédiatement ce qu’il affirme : il  vient de passer « les plus beaux jours de sa vie » !

Loris Gréaud a laissé l’installation dévastée en l’état, pour que les visiteurs en savourent les débris. Mais une journaliste du Dallas Observer, Lauren Smart, a pu écrire ce qui en France n’était guère possible jusqu’à ce que la bouffonnerie du Plug anal de McCarthy délie les langues : et Madame Smart d’ironiser sur un artiste qui détruit  une exposition « trop grande, prétentieuse et insipide » parce que, justement,…il n’avait rien à montrer. Réponse cinglante de Gréaud : « C’est, de loin, la critique la plus ignorante et mal écrite que j’aie jamais lue (…). Je vous invite à étudier un peu la littérature, beaucoup l’histoire de l’art (…) et à vous trouver un petit ami bourré de stéroïdes. ». ». La journaliste de répliquer, en rendant publique la polémique :« Est-ce qu’une femme écrivain a besoin d’une rencontre torride pour comprendre l’art ? Loris Gréaud pense que oui ».

Panique chez notre enfant prodige, qui découvre que le truisme français : « si vous n’aimez pas l’AC, c’est la preuve que vous êtes frustré(e) » ne marche pas aux USA. Oh, Dallas, quel univers impitoyable ! Au lieu de se couvrir de gloire, le petit Gréaud se couvre de ridicule et passe en Amérique pour « un Frenchy sexiste qui pète les plombs ». Que faire ? Un artiste d’AC, un conceptuel, a toujours raison :  Gréaud suggère avoir tout manigancé !

« L’idée était de lancer un virus autodestructeur, comme un équivalent immatériel de l’exposition. J’ai contacté cinq journalistes ayant produit des critiques négatives ou imprécises, en les provoquant avec une rhétorique très basse mais sans agression. Une seule a réagi. » Des quatre autres, aucune nouvelle. Un quarteron traumatisé ou fictif,  se demande  Le Monde, pas dupe de cet artiste qui revendique  d’« inséminer un doute en révélant l’existence de ce virus et sa fomentation, sans pour autant apporter de preuves ».  « Pour moi, l’idée d’œuvre d’art totale est intimement liée à celle de suicide artistique ; c’est une combustion générale, dans laquelle tu mets tout en jeu. ». « Il n’y a pas de message. Ni dans le projet en lui-même, ni dans son événement, ni dans son état viral ou dans ses commentaires…»

A Dallas, le musée est complice, illustrant cette rengaine de l’AC « la destruction est une forme de création » ainsi que le fameux « paradoxe permissif » par lequel les institutions  poussent elles-mêmes aux surenchères transgressives. Si cet art là est le contemporain désinvolte de quelque chose, n’est-ce pas de Daesh, qui détruit les œuvres archéologiques ? S’il est contemporain de quelqu’un, ce ne peut être que  de quelques privilégiés :  Gréaud s’y prendrait-il autrement s’il voulait illustrer littéralement  la fameuse « destruction créatrice » qui, selon l’économiste Schumpeter (1883-1950), est « la donnée fondamentale du capitalisme »(1)… ?

Christine Sourgins

(1) Le philosophe Luc Ferry vient de consacrer un petit livre à « L’innovation destructrice » (chez Champs actuels) qu’il met en parallèle avec la logique de l’innovation pour l’innovation de certaines avant-gardes.  Une partie de l’ouvrage critique donc l’art dit contemporain… tout en le confondant parfois  avec l’art moderne (page 61)…