Cinq femmes en or plus une…

3 juin 2025

Un article d’Artprice égrène les records des cinq femmes contemporaines dominant le marché de l’art : mais qui sont-elles et pourquoi une telle cote ?

La première à dépasser le million de dollars, en 2004, fut Susan Rothenberg (1945-2020) américaine liée au courant new image, qui réintroduit la figuration dans des années 70 dominées encore par l’abstrait et le minimalisme. Son record personnel frôle les 2 m$ en 2024, pour « United States » peinture de 1976 : une toile divisée en deux, blanche à gauche, noire à droite, au milieu le contour évanescent d’un cheval (thème favori de l’artiste et d’un pays de cow-boys). Puis elle peint des os sanguinolents et, à partir de 2008, des fragments de têtes, bras ou jambes, ainsi « Le Maître » disloque les membres de marionnettes etc. S’esquisse donc une conception plutôt rude de l’humain qui pourrait bien être un début d’explication.

Cady Noland (1956), plus conceptuelle, procède par collages, sculptures, installations d’objets dans la tradition du pop art avec une inflexion post-minimaliste. Critique du « rêve américain », ses mythes fondateurs et sa violence, elle non plus n’y va pas de main morte : « Oozewald » (1989) est une photo imprimée sur aluminium de l’assassin de John Kennedy au moment où Lee Harvey Oswald est lui-même abattu. L’œuvre est percée de huit trous, celui sur la bouche du tueur/tué est obturé par un drapeau américain : record de 6,6 millions de dollars en 2011 chez Sotheby’s et nouveau record avec Bluewald (1989), déclinaison du même sujet (1). Pourtant en 2000, Cady Noland avait quitté brusquement le monde de l’art, interdisant toute publication sur elle ; pour échapper à l’accusation d’opportunisme et à la spéculation, semble-t-il. Le mercantilisme de l’AC l’a rattrapée cyniquement : elle cartonne aux enchères grâce à la violence des mâles !

Cindy Sherman (1954) accède tôt à la reconnaissance grâce à ses photographies qui relèvent de l’art conceptuel : elles ne documentent pas une réalité mais des autofictions.  Fregoli au féminin, Cindy se met en scène, déguisée avec faux nez, moustaches, sourcils, prothèse mammaire, etc. De ses séries de photos nommées Untitled pour rester libres d’interprétation, la plus connue est Untitled Film Stills (1977) qui joue des stéréotypes féminins, inspirés des films des années 50 et 60, de la ménagère à la femme fatale ; soit 6,77 m$ chez Christie’s à New York en 2014.  Vu l’humour grinçant et sa fréquente absence d’empathie pour ses personnages, sa vision globale de la femme n’est guère folichonne. Un exemple : Unititled #276 (pour un magazine de mode !) la montre assise, jambes écartées, en reine-marâtre, genre souillon de luxe décrépite.

Mais la star des enchères est Marlene Dumas (1953) : elle fut la première à décrocher le titre « d’artiste femme née après la Seconde Guerre Mondiale la plus chère du monde » et vient de reconquérir cette place avec Miss January (1997) vendue pour 13,6 millions de dollars chez Christie’s à New York en 2025. L’’œuvre la plus chère jamais vendue d’une artiste femme vivante est une huile sur toile, (281,9 x 101,6 cm) avec une blonde debout et de face, qui a enlevé le bas (sauf une chaussette rouge), le haut du corps étant habillé, ou plutôt gangrené, par une résille.

Ses thèmes sont « mort, violence, sexualité » : nus parfois porno, corps violentés, portraits d’enfants malades. Plus des questionnements liés à sa vie (d’origine Sud-africaine elle vit aux Pays Bas) très tendance : le racisme et l’Afrique. Si Dumas manifeste un grand intérêt pour la représentation féminine, c’est parfois dans un style dépouillé avec quelques couleurs délavées. « Entre poésie et déchéance » lit-on, des femmes pissantes (reprise des codes masculinistes, de Rembrandt à Picasso ?), dont le « Faire pipi en robe bleue »sic, encre et acrylique sur papier que possède Beaubourg. Sa Naomi, huile de 1995, massacre le visage du mannequin Noami Campbell qui soudain fait peur !

Cette vision trash de la femme se confirme avec la britannique Jenny Saville (1970) célèbre pour ses « nus spectaculaires aux chaires violacées peintes à vif ». Dès 2018 sa toile Propped (1992) atteint chez Sotheby’s le prix pharamineux de 12,5 m$ : c’est ce record que Dumas vient de battre. Propped, c’est une géante nue, seins pesants, cuisses hyper-charnues à rendre chétives les vénus préhistoriques. Sur la toile se lit une injonction de l’écrivain féministe, Luce Irigary incitant à contrer le regard masculin de l’histoire de l’art par une optique nouvelle, féminine. Pour Saville, qui dans la lignée de Lucian Freud manie le pinceau avec maestria, cela passe par la qualité tactile du pictural. Là encore, une vision de la femme « malaisante » : Shif (1996-97) montre des modèles féminins nues, serrées sur la toile comme des sardines en boîte. En 1991, un Autoportrait la montre trônant sur sa cuvette des toilettes, rouleau PC en main. Pas sûr qu’elle réalise son vœu de « donner aux femmes de toutes apparences les moyens d’aimer leur corps », tant la chair est triste !

Qu’elles soient épouses ou filles d’artistes célèbres, et/ ou managées par de grandes galeries du Financial art, chez toutes le biais idéologique est présent (culture US ou féminisme) : c’est pourquoi la courbe de leurs ventes, quasi stable jusqu’en 2004 (date du démarrage en flèche de l’Art financier), grimpe à nouveau fortement en 2014 (en phase avec le mouvement aboutissant à Me too).

L’instrumentalisation et l’idéologisation de la femme en art atteint des sommets avec une sixième, l’historique Artemisia Gentileschi (1593-1653), « la première grande artiste ». Il y en eut avant elle mais Artemisia fut violée à 17 ans par un peintre : la voilà donc promue héroïne de la lutte contre le patriarcat et, elle aussi, malmenée. En 2023, son exposition au Palais ducal de Gênes commençait « par une salle où un lit dévasté laissait apparaître sur le drap blanc le sang virginal » (2) ; était exposées également… des œuvres de son violeur !

Christine Sourgins

  • (1) 9,8 m$ chez Christie’s en 2015. Ces records sont symboliques car, en général, les artistes ne perçoivent rien sur les transactions du second marché.
  • (2) Harry Bellet,« Artemisia Gentileschi, artiste librement inspirée »,Le Monde, 04/04/2025, p. 19.