Missor/ Buren : deux poids, deux mesures ?

By | 11 février 2025

L’affaire de l’atelier de sculpture Missor menacé de faillite via une commande de la ville de Nice, rapportée à celle de Buren accueilli à bras ouverts à Conflans st Honorine ( cf dernier Grain) est  un cas d’école illustrant le deux poids deux mesures qui étrangle le milieu de l’art français depuis des décennies.

Bientôt le GIGN ?

Nice voulait une statue monumentale de Jeanne d’arc pour la placer devant… son église Jeanne d’Arc. C’est, concédons-le, aujourd’hui audacieux et peu politiquement correct : l’inculture aidant, nombres d’excités ont oublié que Jeanne fut aussi une figure républicaine, O combien (1) ! La ville s’adresse à l’atelier Missor spécialisé dans la sculpture en bronze, monumentale, traditionnelle ; la commande, de 170 000 euros, est passée, comme l’a fait Conflans pour Buren, sans concours ni appel d’offre. Mais si pour un artiste d’AC, qui coûte près du double, tout s’apprête à passer crème sans soupçon de « favoritisme », à Nice, « L’Etat de droit » (au sens du droit dans un drôle d’état) se réveille et sévit. Alors que la statue de neuf tonnes a été fondue, installée, dorée, inaugurée, le tribunal qui l’a d’abord validée (!) casse le contrat, le préfet, disciple de la cancel culture faut croire, exige le déboulonnage, tandis que son remboursement ruine l’artiste et son atelier ! Sans oublier une perquisition au siège de la Régie commanditaire : à quand l’antiterrorisme avec le GIGN, pendant qu’on y est ?

L’étouffoir de la diversité culturelle

La ville a fait appel et se défend en arguant que, légalement, elle peut ne pas organiser de concours ou d’appel d’offre s’il n’y a pas d’autres prestataires capables de répondre à la commande. On imagine qu’un maire qui en pince pour un monument zébré, pourrait, Buren n’ayant pas (encore) le monopole de toutes les rayures, en trouver chez nombre de plasticiens et qu’un concours s’impose. Tandis qu’une statue à l’ancienne, de cette ampleur, le savoir-faire a eu tendance à se perdre en France puisque, précisément, ce genre d’esthétique fut calomniée, discriminée, bannie de toute notion de diversité culturelle pourtant chantée partout : donc fin des grosses commandes publiques, plus de travail et fermeture des ateliers. On peut regretter que Nice n’ait pas organisé ce concours qui aurait prouvé, sinon la disparition, du moins la raréfaction de ce type de savoir-faire en France. Cette commande, devenue inattaquable, aurait pu démontrer la nocivité des politiques étatiques, sauf qu’organiser un concours attire la bureaucratie culturelle qui sait contourner l’esprit des lois pour imposer son esthétique, l’AC (2).

On voit la difficulté de lutter contre le système de l’AC : si un mécène veut encourager autre chose, ce ne sera pas à armes égales. Pire, quand une ville eût l’idée d’une biennale de sculptures (Yerres en 2007 par exemple), ouvertes à d’autres courants que l’art officiel : conspiration du silence médiatique donc baisse de fréquentation. Veut-on se défendre d’une de ses attaques, l’AC se victimise, passe pour persécuté alors qu’il est dominant. S’en prendre à l’AC sur le mode de l’humour ? C’est fort difficile puisqu’il est en lui-même déjà parodique. Sa plus grande ruse consiste à affirmer, officiellement, qu’il n’y a pas d’art officiel, tout serait ouvert dès lors que « contemporain » : le terme accueille, onomastiquement, tous les artistes vivants mais dans les faits, seule une toute petite partie des artistes sont contemporains et ont le droit de vivre … Les autres, « l’Etat de droit » les exécute, mais par mort sociale, souvent lente et peu spectaculaire, donc invisibilisée.

Une ville hongroise s’est proposée pour accueillir la statue proscrite mais une cagnotte en ligne a été ouverte pour sauver l’atelier et plus de 16.000 personnes ont signé une pétition… A la liste d’Héraclite ( » Le peuple doit se battre pour ses lois comme pour ses murailles »), il faut désormais ajouter les statues…

Christine Sourgins

  • 1-D’abord héroïne populaire, Jeanne a représenté pour la gauche la victoire du petit peuple face aux grands et une victime de l’Eglise : Jules Quicherat (1814-1882), un de ses biographes célèbres, était un anticlérical notoire ! Aussi le Parlement établit pour elle une fête nationale avant sa canonisation tardive (1920), qui est liée à la fin de la première guerre mondiale où des combattants de tous bords avaient fraternisé. Cette figure réconciliatrice, éprise d’un idéal de résistance, parla aux féministes comme aux prolétaires…  Lire, par exemple, Daniel Bensaïd, « Jeanne de Guerre lasse », Gallimard,1991
  • 2-Exemple : quartier de Nanterre Préfecture, la population eut l’idée d’un convivial kiosque à musique dont l’esthétique rétro serait en rupture avec l’environnement minéral anémiant. Les institutions s’emparent de la bonne idée, appel d’offre etc. Résultat ? Un auvent de pompe à essence XXL de style industriel, très loin du kiosque charmant imaginé par les habitants. Qu’importe : les officiels sont fiers d’avoir été « à l’écoute du public »…