Entre zèle et dissidence

5 février 2024

Pour gagner du temps, le chantier de restauration de Notre-Dame a saccagé des niveaux archéologiques (voir dernier Grain) ; si la folie de l’empressement sévit ailleurs (1), le patrimoine peut aussi être victime du zèle inverse, quand restauration rime avec reconstruction.

Mykérinos et les carreleurs

La 3ème pyramide de Gizeh est menacée du « projet du siècle » sic. Son parement en granit d’Assouan ne subsiste qu’à certains endroits mais, dans 3 ans, Mykérinos risque d’avoir une pyramide flambant neuve ! Le parement serait entièrement reconstitué par le « secrétaire général du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes »sic, aidé par une mission égypto-japonaise. Hourvari sur les réseaux sociaux et chez les égyptologues car s’il serait envisageable, à la rigueur, de recouvrir la pyramide avec quelques pierres qui en sont tombées, multiplier les ajouts contreviendrait à la Charte de Venise. Certes, le tourisme est vital pour ce pays mais faudra-t-il alors rallonger le pont d’Avignon ou redresser la tour de Pise pour déplacer les foules ?

Ce janvier 2024, les égyptiens découvraient aussi que la rénovation de la mosquée Abu el-Abbas el-Mursi d’Alexandrie (XVe siècle) a consisté à ripoliner en blanc ses plafonds sculptés et colorés : un alignement sur le sacro-saint white cube, si mode aujourd’hui dans l’AC ?

A quand une rupture avec ce zèle lucratif ou cette modernisation effrénée, à quand une dissidence planétaire ?

La dissidence a 12 000 ans ?

Or ce sont des fouilles d’urgence qui ont révélé, peut-être, la plus vieille dissidence culturelle. En 2018, près de la gare d’Angoulême, 3 jours avant la fin des autorisations, l’INRAP (2) fit une découverte exceptionnelle : une plaque en grès avec des gravures animalières. Incomplètes, reconnaissables mais sans être très « spectaculaires » : alors en quoi ces gravures changent-t-elles la donne ?

Elles datent de la période préhistorique dite de l’Azilien, caractérisée par des galets recouverts de points ou de traits de peinture : régression, décadence, ont dit les premiers archéologues frappés par la disparition de toute figuration. Puis, suivant les modes contemporaines, on y vit l’ancêtre de l’Art Abstrait, et pourquoi pas d’un Art conceptuel embryonnaire (l’absence de document écrit autorisant toutes les spéculations). Or voilà qu’on découvre des dessins d’animaux : oui, à l’Azilien, certains non conformistes s’obstinaient à dessiner, à figurer ! Des dissidents vieux de 12 000 ans ?

Et vu le lieu de trouvaille, certains, toujours en projetant notre réalité sur le passé, y voient déjà la première BD d’Angoulême !

A suivre…

Christine Sourgins

(1) Exemple : les récentes destructions de la médiévale Cité des morts au Caire, pour faire passer une voie rapide…

(2) INRAP : Institut national de recherches archéologiques préventives