Le jeune Théo Mercier fut surnommé par Libé le « petit prince » de l’AC : remarqué au Salon de Montrouge, sa première exposition personnelle en 2009 se déroula au musée de la Chasse et de la Nature. L’année suivante, son bonhomme en spaghettis fit sensation au Musée d’Art moderne de Paris ; il enchaîna Tri Postal à Lille, Lieu Unique à Nantes, Centre Pompidou, Palais de Tokyo, Maison Rouge, Mac Val… Nicole Estérolle y verrait le parcours parfait d’un « schtroumpf émergent ». Favori en 2014, il rate le prix Duchamp et part au Mexique. Plasticien et metteur en scène, il fait son retour cette fin d’année avec une pièce au théâtre des Amandiers, puis une reprise de son conte érotique « Radio Vinci Park ».
Mais surtout, il a droit à une exposition au Musée de l’Homme, du 5 octobre 2017 au 2 avril 2018. Bigre, 6 mois pour le petit prodige, 33 ans et toutes ses dents ! Le Magazine du Monde nous jure que « son travail a gagné en maturité et en profondeur ». Le dossier de presse précise que le musée l’invite « pour un parcours artistique singulier au sein de son exposition permanente » (soit le cœur du musée, la partie la plus vaste !). Car « il mène une réflexion située au carrefour de l’anthropologie, de l’ethnographie, de la géopolitique et du tourisme. Ses œuvres résultent d’un travail d’ « anthropomorphisation » des objets, (suscitant) des échanges foisonnants entre passé, présent et futur, animé et inanimé, vrai et faux, artisanal et industriel, profane et sacré, réel et fiction… » ! Autrement dit, c’est un artiste du type « raton-laveur » pour reprendre une expression chère à Prévert, la poésie en moins. Cet homme, capable de brasser tout l’univers et plus si affinités, que montre-t-il dans son exposition de « Pièces rapportées » ?
L’affiche met en exergue son « Collier-passeport » qui élève « au rang d’œuvre d’art, les porte-clés tour Eiffel vendus sur le parvis du Trocadéro (ils) deviennent les pièces maitresses d’un musée imaginaire des arts seconds, celui du ready-made dévoyé » ce qui est censé nous interroger sur « la perte du geste de l’artiste dans l’œuvre ». Mais un artiste qui perd son geste est-il encore un artiste ? Le Musée de l’Homme ne pose surtout pas la question…
Dans sa très sérieuse vitrine « Fabriquer des outils pour de multiples usages »… tiens une paire de saucisses ! Ailleurs ce sont des pneus Good Year qui servent d’écrin à un crâne ou à un fragment d’amphore. Potache, le musée de l’Homme : quelle autodérision décoiffante ! L’institution célèbre non plus l’homo sapiens mais l’homo festivus découvert par un anthropologue méconnu en ces lieux, Philippe Muray ! Dans la vitrine « Un cerveau pour penser le monde » : tiens, la tête d’Hygie, déesse grecque de la santé dont l’original est à Athènes. Les 6 moulages, achetés dans des boutiques de souvenirs par l’artiste, sont présentés par taille décroissante, l’œuvre est intitulée « Le sens de l’Histoire ou la grande réduction ». Ecoutons le savant dossier de presse : « Le visage harmonieux de la déesse se déforme ainsi au fil des duplications, à l’image de l’Histoire malmenée par le Temps ». Mais qu’est-ce que ce déterminisme : du négationnisme historique cautionné par un musée ? Quoi l’Histoire malmenée par le Temps, alors fermons les musées ; historiens, conservateurs et chercheurs : de coûteux bons à rien ! L’attitude de l’artiste est dans la lignée de son séjour à la villa Médicis à Rome où il fut pensionnaire en 2013. L’enfant gâté des institutions en a retenu « une année d’ennui profond, de temps mort vraiment mort »(1). Théo aurait-il un problème avec l’histoire, lui qui titra son tout premier spectacle « Du futur faisons table rase » ? En fait, c’est le Temps qui permet de faire l’Histoire, de prendre du recul, d’inventer des outils, d’accumuler du savoir : un visiteur du Musée de l’Homme a aujourd’hui des chances d’en savoir plus long sur Ramsés II, par exemple, qu’un académicien sous Louis XIV !
Le musée admet que Mercier « donne forme à un exotisme particulier qui défie les notions d’identité culturelle », se gardant bien de préciser que l’identité culturelle défiée par ce jeune loup ne se limite pas à la logique chère au pays de Descartes. Mais pour le comprendre, il faut aller sur le site de la galerie (2) de l’artiste et là on lit : « Théo MERCIER associe des masques de danse africains à des éléments propres aux masques papous, auxquels il greffe un nez en PVC ondulant, symbole de l’ondulation des corps dansants…. »(3). Ils vont être contents les Papous ! Pourvu qu’ils ne voient pas des relents de colonialisme dans ce que le musée appelle « un parcours étonnant qui bouscule nos repères culturels et temporels » !
Au passage on notera que le dossier de presse cliquez du Musée de l’Homme reprend mot pour mot nombre de phrases du site marchand de la galerie Bugada et Cargnel cliquez (4). Il y a bien là une étonnante bousculade des repères entre public et privé ! Est-ce la galerie qui profite du tremplin du Musée (et des finances publiques) pour faire sa pub ? Ou le musée de l’Homme qui accepte sans vergogne de devenir une succursale, la « pièce rapportée » d’une galerie privée ?
Les citoyens aimeraient connaître les mécanismes de sélection des espèces artistiques dans le biotope des musées : qui décide de l’occupation de l’espace public, au nom de quels critères… ? Mais le visiteur n’est sans doute que la « pièce rapportée » d’un petit jeu d’art financier.
Christine Sourgins
(1) Cité par Roxana Azimi , M le magazine du Monde, 21 octobre 2017, p.98.
(2) https://www.bugadacargnel.com/fr/artists/106859-theo-mercier
(3) Ce qui correspond à l’oeuvre “Back to basics and gender studies” exposée au Musée de l’Homme en anglais : c’est plus chic.
(4) En particulier les phrases en italique dans cet article.