Cet été, lors de voyages touristiques, vous avez peut-être maugréé devant des « souvenirs » muséaux ; cravate aux Nymphéas de Monet, poudrier orné du Baiser de Klimt etc. Le Rijksmuseum vient d’innover avec une série limitée inspirée de Vermeer qui… se jette à l’eau sur des planches de surf. Désormais sa Laitière écume les mers !
Rembrandt dans la peau
Le musée de la maison de Rembrandt d’Amsterdam présentait jusque-là une collection d’estampes du maître et des techniques graphiques qu’il utilisait : classique, trop. Fraîchement rénové, le musée veut créer le buzz et se surpasse : en juin, il fut possible de s’y faire tatouer des œuvres de Rembrandt ! Des tatoueurs de renom sont venus y graver la peau du visiteur ; comme l’opération est un brin douloureuse, c’est incontestablement le dernier cri en matière de produit dérivé ! Les douillets pouvaient se contenter de la signature du maître. Sinon, plusieurs planches de dessins, inspirés de ses œuvres, étaient proposées sur catalogue : des Rembrandt-tout-prêts, en somme, pour un coût oscillant entre 100 et 250 euros. Pas cher, parait-il : il n’y en a pas eu pour tout le monde. Officiellement il s’agit, bien sûr, d’un hommage : officieusement, d’attirer une nouvelle audience « jeune ».
Une manne
Les tatoueurs, flairant la manne, sont déjà partis « créer l’événement » en d’autres musées de par le monde : prochain rdv au studio de Francis Bacon à Dublin, car ce filon est international. Et inépuisable : on imagine bien qu’à Auvers sur Oise, par exemple, des tournesols puissent flétrir les épidermes, avant qu’à Aix, en l’atelier Cézanne, les pins de Bibémus ornent des troncs musculeux et bronzés…
Toujours plus
Tout cela est possible grâce à l’AC et à Wim Delvoye qui se fit une spécialité de tatouer des cochons vivants (en Chine, car en France la SPA et B.B. veillent) : quand le collectionneur voulait son œuvre, le cochon était tué, dépecé, tanné. Fort du fétiche de la surenchère, « toujours plus », Delvoye en 2006 a tatoué un homme, Tim Steiner, qui, par contrat a vendu sa peau après sa mort. Il finira dépecé et dans le salon d’un collectionneur… Lors d’une expo Delvoye à Paris, Tim, qui y est obligé par contrat, exposa son dos dans les salons feutrés du Louvre. On voit comment, subrepticement, l’AC accoutume les musées de patrimoine aux marques corporelles. Dans le film « Le tatoué », Louis de Funès convoitait le dos de Jean Gabin orné d’un Modigliani : en 1968, cette cupidité fictive faisait rire ; elle est devenue réalité sérieuse. Le marquage corporel mime maintenant la « performance éphémère » démocratisée où monsieur Tout le monde apporte volontairement sa couenne. La Boétie appelait cela « servitude volontaire » car la photo où l’on voit Delvoye tatouer, sur la même table, Tim et un cochon, est limpide quant à la leçon assénée : l’homme est une marchandise comme une autre ; son corps, chose à « customiser » à l’excès. L’AC est l’art d’un fondamentalisme marchand : tous les tenants et aboutissants de cet Art financier, se trouvent dans l’édition de poche « Les mirages de l’Art contemporain » paru cet été chez Eyrolles. A faire lire d’urgence à ceux qui en douteraient : « Si vous ne vous occupez pas d’Art contemporain, il s’occupera de vous ».
Christine Sourgins