La DRAC, le Christ et le rayon vert…

15 juin 2025

A noter : Invitation à Paris, Hôtel de Jarnac, 8 rue Monsieur, Mardi 24 Juin 2025, de 17 à 21h30 h. Découvrez les couvertures des 2 livres sur la beauté que je publierai à la rentrée prochaine ; en attendant, signature (et soldes !) des Mirages de l’Art contemporain ! Beaucoup d’autres auteurs dédicaceront leurs livres en ce lieu splendide…

Le fameux rayon vert de la cathédrale de Strasbourg fut découvert par Maurice Rosart, ingénieur géomètre. Ce dernier aperçut en 1972, issu d’un vitrail, un rai illuminant de vert la tête du Christ situé sur la chaire du XVème siècle, vers midi, aux équinoxes de printemps et d’automne (21 mars et 21 septembre): tout un symbole ! Le phénomène, depuis un demi-siècle, déplaçait curieux et pèlerins en quête de sens et de poésie tant l’effet était saisissant, la Poste ayant même édité un timbre commémoratif en 2019. On connaît d’autres phénomènes de ce type (cf le clou de la saint Jean à Chartres) et nombre de méridiennes incrustées au sol :  les cathédrales sont orientées, insérées dans la création et son cycle solaire des saisons (cf les représentations de travaux agricoles). Nul sens ésotérique souvent mais un intérêt pratique :  les chanoines, par exemple, devaient compter le temps sur place pour rythmer leurs prières.

Bref, Strasbourg contempla avec bonheur son rayon vert, dont la presse n’a cessé de noter « l’exceptionnelle beauté »… jusqu’à ce que la DRAC, la direction régionale des affaires culturelles, arrive en mars 2022 et recouvre d’une patine la chaussure du personnage d’où partait le rayon : il s’agit de Juda (sans s) fils de Jacob, à ne pas confondre avec Judas (avec s) l’Iscariote qui trahit Jésus. Ce Juda est donc un ancêtre du Christ, ce qui fait sens ! Une patine consolide peu mais, au prétexte de restaurer le vitrail, le résultat fut : « circulez, y’a plus rien à voir », fin du rayon vert !

Hourvari dans les médias locaux car la population, chagrine, est orpheline du petit miracle semestriel. Maurice Rosart, le découvreur, porte l’affaire en justice et perd sur cet argument de la Drac : « le phénomène du Juda vert n’est dû qu’à une réparation du vitrail, dans la zone de la chaussure gauche du personnage, avec du verre de basse qualité » (1).

Supposons que cette affirmation soit vraie, mais alors c’est encore plus extraordinaire ! Quel fabuleux concours de circonstances : le pis-aller d’un restaurateur engendre, juste au bon moment (les solstices), pile au bon endroit (le Christ), un rayon grâce à un vitrail où la posture du personnage esquisse le dispositif : en effet, Juda regarde en l’air vers un oculus, comme vers le soleil, et sa main paraît désigner son pied. D’où l’engouement populaire qui aime tant voir, visualiser !

Une oeuvre méconnue et bafouée

Mais comment la Drac, a-t-elle pu passer à côté de cette œuvre pionnière : une merveilleuse installation immersive, avec hasard collaboratif ! Umberto Eco, médiéviste patenté, eût parlé d’œuvre ouverte. Une sorte d’objet trouvé, opéré collectivement, un art populaire qui se réjouit des moyens du bord quand ils font sens et poésie. Comment la Drac, qui vit des impôts de la population, a pu bafouer un tel génie populaire ? Ah, si Malraux était là, lui qui prêchait la métamorphose des œuvres d’art : au fil du temps, le sens d’une œuvre se reconfigure et se parfait, fût-elle un vitrail du XIXème siècle. Merleau-Ponty ira jusqu’à dire, « les réinterprétations interminables dont elle est légitimement susceptible ne la change qu’en elle-même ».

On comprend la gêne de la Drac : ici pas subvention, pas de lourd dossier administratif, pas d’autorisations à délivrer, pas de réunionite, rien pour justifier la bureaucratie, même pas de petits fours ! Le rayon vert ne coûtait pas un sou, ne faisait pas de bruit, ne détruisait rien ; dans une France qui s’ensauvage autant qu’elle s’endette, un mauvais exemple, certainement.

Et le clergé, comment a-t-il pu être infidèle à « vox dei, vox populi », au moment où le Pape François insistait sur le respect dû à la sensibilité religieuse populaire!? Passe encore que le clergé fronçât le sourcil si le rayon, parti du pied de Juda, avait botté les fesses d’une statue par exemple, mais rien de tel ici ! A tout point de vue, le rayon faisait sens avec l’incarnation d’une cathédrale dans l’ici et le maintenant, il visualise un parcours biblique de l’ancien au nouveau Testament. « Défense à la Providence de créer ici ! »serait alors le credo de l’Evêché, mais celui-ci semble désormais verdir sa position, Déo gratias !

Deux poids deux mesures

On comprend d’autant moins ce rejet du rayon vert que le clergé français nous a habitué, sous couvert de collaboration avec l’Art contemporain, à des œuvres autrement « farfelues ». Au cœur des sanctuaires, les paroissiens en ont vu des vertes et des pas mûres, quelques exemples :  en 2001, Faust Cardinali expose des certificats de baptême sur lesquels tombe une résine, soit le  « sperme  du créateur » sic, en une installation dressée église Saint Sulpice, à Paris; Cathédrale de Gap, Pâques 2009, un Christ sur une chaise électrique, œuvre très réaliste de Paul Fryer ; même année, au festival breton « art dans les chapelles », une performance finit enstriptease et nu intégral, etc. Pas assez transgressif ou choquant peut-être, le rayon vert ?

Dernier argument, devenu caduc et anti-démocratique : « assurer une restauration du vitrail au plus près de son état initial » (2) ! Que la DRAC aille donc exiger cela à Notre-Dame de Paris où le caprice d’un seul, le Jupiter élyséen, impose à tous un changement drastique à des vitraux anciens pourtant rescapés des flammes. A Paris on détériore en permanence les choix de Viollet-le-Duc qui n’avait certainement pas prévu Claire Tabouret ; à Strasbourg, on s’alarme d’un rayon qui frôle l’espace deux fois l’an : deux poids, deux mesures ?

Après l’écologie punitive, les fonctionnaires de la culture ont inventé la restauration d’art vexatoire et confiscatoire ! Avec la bénédiction de l’Etat de droit ? Le recours déposé, à la cours Administrative d’appel de Nancy, est en attente de jugement. A suivre…

Christine Sourgins

Pétition demandant le rétablissement du rayon vert, cliquer

  • (1) L’honnêteté serait de rechercher en archives si ce rayon n’est pas attesté également avant la restauration incriminée… En ce cas, il y aurait eu re-création de l’œuvre à la fin XXème siècle. Mais, outre que l’absence de preuves n’est jamais une preuve d’absence, un résultat négatif ne changerait rien à l’existence d’une création populaire, ces cinquante dernières années.
  • (2) Les spectacles pyrotechniques projettent, le soir, des diapositives bariolées, invasives, sur les façades de nombres de cathédrales pour des animations souvent plus touristiques que pédagogiques : faut-il les interdire pour n’avoir pas été conçues par les créateurs médiévaux ou même les restaurateurs du XIXème ?