L’Art contemporain détourne la politique

18 février 2020

Une œuvre d’art très contemporain vient de bouleverser la vie politique française, à moins qu’elle n’en révèle les contradictions.  A l’occasion de la mise en ligne de vidéos intimes réalisées initialement par Benjamin Griveaux lui-même, le grand public a découvert l’artiste russe Piotr Pavlenski qui  revendique la diffusion de ces images porno ayant entraîné le renoncement du candidat LREM à la mairie de Paris. L’artiviste russe, né en 1984, est célèbre pour s’être cousu les lèvres en 2012, en soutien aux Pussy Riot, condamnées pour une « prière punk » dans une cathédrale : applaudissements à tout rompre de l’intelligentsia française qui soutient cet opposant à Poutine.

Je passe sur ses performantes suivantes, pénibles à raconter comme de se clouer les testicules sur la Place Rouge ou de se couper l’oreille, hommage discutable à Van Gogh.  Interné 21 jours à  l’Institut Serbski (les vieilles méthodes du KGB !), il est déclaré sain d’esprit et subit plusieurs procès, récolte une amende mais ne fera pas de prison : «Piotr Pavlenski, couillu», titrait, admiratif, le journal Libération en octobre 2016. Interpellé pour une affaire d’agression sexuelle (un coup monté selon lui) Pavlenski profite d’une liberté provisoire pour fuir la Russie, trop contente de voir le trublion demander et obtenir l’asile politique en France.

En octobre 2017, Pavlenski mit le feu à l’entrée d’un bâtiment de la Banque de France à Paris, lors de sa performance baptisée « Éclairage ». Ce fut effectivement lumineux : la démocratie française ne rigole pas avec l’Art financier et l’envoie en prison… où, à nouveau, il est déclaré sain d’esprit.

Rebelote aujourd’hui… avec la classique fonction critique des artistes d’AC, art qui se veut « citoyen » : « C’est quelqu’un (B. Griveaux) qui s’appuie en permanence sur les valeurs familiales, qui dit qu’il veut être le maire des familles et cite toujours en exemple sa femme et ses enfants. Mais il fait tout le contraire. Ça ne me dérange pas que les gens aient la sexualité qu’ils veulent (…) (mais) il ment aux électeurs. Je vis désormais en France, je suis Parisien…”. Voilà un discours qui serait reçu 5 sur 5 aux Etats-Unis, où, ne pas mettre ses actes (y compris et surtout privés)  en cohérence avec son discours public est considéré, là-bas, comme une atteinte très grave à la démocratie : un cocufiage d’électeurs. Outre-atlantique, Pavlenski serait donc un lanceur d’alerte.

Mais nous sommes en France où, désormais, Pavlenski n’est plus célébré comme un courageux performeur mais, au mieux, présenté comme  un « militant », au pire, un délinquant ; tandis qu’RTL donne du « Monsieur » à Griveaux, ennoblissant ainsi un Benjamin grivois, martyr des réseaux sociaux, innocente victime d’un méchant russe. Comme un bon opposant à Poutine devrait être ou mort ou en prison, ce Pavlenski en roue libre ne serait-il pas  « téléguidé » voire un « agent russe » disent certains ? Tiens, revoilà, sans  vergogne,  la théorie du complot

Une question demeure. Imaginons que Pavlenski n’ait rien révélé, « Monsieur » Griveaux est quand même, en dépit de toute la compassion qu’on peut avoir pour lui, fort léger, bien imprudent, se conduisant plus en gamin qu’en homme d’état car une mafia ou une puissance étrangère auraient pu récupérer ses vidéos et faire chanter ou manipuler le futur maire de Paris : dans ce cas là, la démocratie ne serait-elle pas plus en danger qu’aujourd’hui ?

Christine Sourgins