Le diable est dans les détails

7 mai 2019

Après le Louvre « crassepouille » (voir Grain de Sel du 9 avril), voici le musée en  taulier bon chic bon genre. Pour fêter les 30 ans de sa pyramide, Le Louvre s’est-il associé avec le Musée du Caire, le British Museum, ou l’Ägyptisches Museum de Berlin ? Mais non, avec Airbnb pour organiser un concours mondial récompensé par un apéro face à la Joconde, suivi d’un dîner avec la Vénus de Milo et d’un concert dans les appartements de Napoléon III…La gagnante, Daniela, une Canadienne de 26 ans, est étudiante en restauration aux Beaux-Arts de Newcastle où elle a rencontré son compagnon. Les tourtereaux ont donc fini leur nuit au musée sous la couette, en dessous de la pyramide : on espère que, par décence, les caméras de surveillance avaient été débranchées… oui mais alors, et la sécurité ? Car le diable est dans les détails : la seule question posée était  « Pourquoi seriez-vous le meilleur invité de la Joconde ? ». Vous pensez que Daniela, étudiante en art, a gagné grâce à une réponse subtile, érudite ou spirituelle ? Elle a répondu « par une incitation à découvrir le Spritz, un cocktail branché, avec des chips ». Waouh, c’est peu de dire que la prétendue démocratisation de la culture  a été le faux nez du consumérisme ambiant !

Autre exemple. Mardi 30 avril, la plus vieille rue de Reims a vu une entreprise peindre ses pavés de couleurs différentes, à la demande de la Ville et des commerçants. Street art ou animation commerciale pour « dynamiser le secteur » sic ? La polémique enfle entre les partisans d’un cadre « authentique » et ceux qui veulent du « festif à tous les étages ». La manifestation est éphémère, nous promet-on, mais l’important est ailleurs : une infirmière a été condamnée à 500 euros d’amende et à un stage de citoyenneté pour avoir dessiné des coquelicots sur les marches de l’Hôtel de Ville de Reims, à quelques mètres de cette rue, en signe de protestation contre les pesticides de synthèse. Les bobos extasiés comprendront-ils que si le festif, le rigolo, le déjanté ont acquis de tels droits, c’est pour mieux cacher combien l’expression populaire authentique, celle qui revendique et porte sens, est sévèrement condamnée !

Autre détail. M. Macron est allé fêter Léonard de Vinci et déjeuner au Clos-Lucé, propriété de la famille Saint-Bris, puisque l’artiste  mourut en ce manoir le  2 mai 1519.  Le chef de l’Etat n’a donc été nullement gêné d’être reçu par des amis sur qui pèsent un signalement pour «travaux sur monument historique sans autorisation» et «destruction de monument historique» suite à des transformations réalisées avant 2017. Un massacre suivant La Tribune de l’Art : trois salons entièrement détruits, des boiseries du XVIIIe et une cheminée d’époque arrachées, le niveau des sols changé, les plafonds modifiés, des fenêtres bouchées d’autres percées etc. » Ces trois pièces, parmi les rares éléments authentiques, avaient la malchance de dater du XVIIIe siècle. Elles furent sacrifiées pour « reconstituer » un atelier de Léonard de Vinci «totalement fantaisiste», bref « une problématique de parc d’attractions» ne laissant  aucune possibilité de remise en  état originel.

Ce « Clos-Lucé plus beau qu’avant » augure mal de la reconstruction de Notre-Dame avec un Président qui vient d’envoyer promener le code du Patrimoine. Pour ceux qui s’intéressent au sujet : j’ai commis un nouvel article, publié par le site de Causeur :  « Notre-Dame n’est pas perdue pour tout le monde » cliquez. Pour comprendre pourquoi il faut défendre l’œuvre de Viollet-le-Duc, (qui a la malchance, lui, d’être du XIXe !)  regardez la vidéo qui interroge l’écrivain Pierre Lamalattie (le propos est sérieux et argumenté, bien que la mise en scène soit distanciée) sur le site de Marcelline l’Aubergine (cliquez).

Christine Sourgins