En une semaine, la France vient de récolter deux bides : aucune récompense au concours de l’Eurovision, rien non plus à la Biennale de Venise. Pourquoi mettre en parallèle les deux manifestations ? Parce qu’à Venise, l’œuvre sélectionnée pour le pavillon Français, celle de Xavier Veilhan, est un studio de musique et d’enregistrement où une centaine de « musiciens d’horizons et registres divers » (du classique à l’électronique, en passant par le folklore) sont invités à travailler sur place, individuellement ou en groupe, pendant sept mois. « On va essayer de faire apparaître ce moment où, comme dans une philharmonie, l’orchestre s’accorde, ce moment de travail et non de performance » expliquait l’artiste. Les premiers balbutiements musicaux n’ont donc pas convaincu le jury de la 57ème Biennale. Veilhan rêvait probablement de mettre ses pas dans ceux de Fabrice Hyber, Lion d’Or 1997, en transformant le pavillon français en studio d’enregistrement…télé. Raté !
Veilhan avait pourtant soigné l’emballage « Art contemporain » de son projet en évoquant « une installation immersive renvoyant à (…) l’œuvre pionnière de Kurt Schwitters, le Merzbau (…), ravivant des références allant du Bauhaus aux expériences du Black Mountain College en passant par Station to Station de Doug Aitken. »
Bref, une supposée fusion entre « entre arts visuels et musique » où les visiteurs sont témoins d’un « matériel sonore en formation » dont la programmation ouverte serait « un mode d’interaction qui échappe à une industrie culturelle ».
Paradoxale Biennale de Venise : n’étant pas une foire, elle est réputée être à l’écart des échanges commerciaux du « Financial Art » mais beaucoup d’argent est en jeu : 1,8 million d’euros consacrés au pavillon français , les ministères de la Culture et des affaires étrangères, donc le contribuable, en fournissant 600 000. Le reste vient de « partenaires » comme les Galeries Lafayette, ou de mécènes comme LVMH. Quant à François Pinault, il ne manque pas d’offrir un dîner rituel sur l’île de San Giorgio Maggiore : autour des buffets somptueux converge toute la planète « arty ».
Paradoxale Biennale de Venise : 500 000 visiteurs en moyenne…dont 8 000 journalistes soit un journaliste pour 62,5 visiteurs ! En 2015 les règles de la sélection française ont changé et on y est admis maintenant sur concours. Le sociologue Alain Quemin n’est guère satisfait : « On a du mal à s’écarter de l’homme blanc conceptuel âgé entre 50 et 60 ans. L’institution a encore opté, cette fois ci, pour le choix le plus logique, conforme, commode : un artiste plutôt conceptuel soutenu par les pouvoirs publics et une galerie puissante, Emmanuel Perrotin. »
« Un art caché, délicat, a plus de mal à trouver sa place à la Biennale. Tout le monde y compris moi fait dans le sensationnel » confiait Christian Boltanski (1). D’où le fiasco de Céleste Boursier-Mougenot qui, lors de la dernière édition de la Biennale, présentait au pavillon français des arbres enracinés dans leur motte de terre. Ceux-ci munis de capteurs déclenchaient un mécanisme qui les mouvait lentement. Trop lentement sans doute puisque Kamel Mennour a remarqué que « 90% des gens n’ont que 30 secondes pour voir une œuvre ». Aussi la commissaire de l’exposition 2015 le reconnait : Céleste a beau y avoir glané un surcroit de notoriété, ce n’est pas assez pour « qu’il gagne mieux sa vie ».
Un autre paradoxe de la si fameuse Biennale de Venise a été pointé en 1995, pour son centenaire, par Boltanski qui avait répertorié les milliers d’artistes participants… à peine 10% était entrés dans l’histoire de l’art. Dernier paradoxe, Aude de Kerros, analyste de » l’Art caché « , vient d’y être conviée, par Donatienne Graham Bates et la non-conformiste fondation d’art contemporain Wish & Bias, pour une conférence sur » L’imposture de l’Art contemporain », titre de son dernier livre. Tout est possible à Venise… à suivre.
Christine Sourgins
(1) cité par Roxana Azimi, « Ambassadeurs à Venise », M, Le magazine du Monde, 6 mai 2017, p.50 à 53. Le couple Messager/ Boltanski/ a représenté successivement la France à Venise en 2005 et 2011 ; Madame a été primée mais pas Monsieur…