The Square ou l’impossible critique de l’Art contemporain

7 novembre 2017

La presse, assez furieuse de la Palme d’Or reçue par « The Square » à Cannes, décourage le spectateur : l’œuvre de Ruben Östlund serait une charge anti-art contemporain au vitriol, farcie de longueurs, avec pour protagoniste une nullité détestable, Christian, conservateur d’un musée de Stockholm… Or, loin d’être une farce, ceux qui s’attendraient à rire grassement seront déçus,  le film procède avec habileté, mesure, voire rigueur ; son personnage central est plutôt touchant dans son désir maladroit d’accorder sa conscience avec les faits.

Le réalisateur connait bien l’AC : Nicolas Bourriaud, le chantre de l’esthétique relationnelle, est justement cité. Ne manquent ni les œuvres typiques d’AC,  comme ces tas de graviers, ni leurs avanies mille fois arrivées pour de vrai : le service de ménage balaye innocemment le chef d’œuvre (des spectateurs non avertis y ont vu une invention du metteur en scène). Bien épinglé aussi par Ruben Östlund , le jargon  incompréhensible, la novlangue qui articule dans la même phrase  « œuvre / non –œuvre », pour dire une chose et son contraire…l’AC adore. L’animalité travaille cette société raffinée dont le vernis craque : la journaliste branchée a pour animal de compagnie, un singe et les esthètes se ruent en meute vers les petits fours. Dans un diner de gala, l’auditoire s’entend dire « restez immobile, cachez vous dans le troupeau », avant de subir une performance inspirée d’un véritable artiste russe (Oleg Kulik) qui se prenait pour un chien et mordait les visiteurs ; dans The Square, un homme-singe, plus vrai que nature, tyrannise une assemblée chic de mécènes… point culminant et scène d’anthologie !

L’œuvre qui donne son titre au film, « The square », correspond tout à fait à l’idéologie de l’AC : elle propose au visiteur de passer par un tourniquet soit du côté « je fais confiance » soit du côté « je ne fais pas confiance (à mes semblables) ». L’AC est volontiers manichéen, adossé à la technique : les choix sont comptabilisés et affichés dans l’expo du film, fictive mais si vraisemblable. Passé le tourniquet, le visiteur découvre au sol un carré où sa confiance est mise à l’épreuve puisqu’il doit y déposer portable et portefeuille …en espérant les récupérer à l’issue de l’expo ! Bien vu : l’AC se veut participatif, proposant des expériences et pas des objets ; ce faisant, le parcours du visiteur  ressemble à celui d’un cobaye testé et/ou éduqué. Le choix confiance/pas confiance ne concorde pas avec la vraie vie, où rien n’est tout rose ou tout noir mais oscille en permanence ; dans la rue, on ne fuit pas systématiquement celui qui vous aborde, mais, à la première bizarrerie, on se méfie.  Et le réel va rattraper Christian : des voleurs, plutôt doués pour la mise en scène, lui dérobent son portable et notre homme ne réagit pas selon l’altruisme exalté par son installation, The Square.

Là s’arrête la critique de l’AC. Car il manque à « The square » l’ambiguïté d’une parfaite œuvre d’AC.  Si le milieu a tellement détesté le film, c’est que l’œuvre centrale est trop bienveillante et que le héros y croit vraiment alors que le personnel de l’AC est certainement moins dupe, beaucoup plus cynique. Les vrais acteurs d’AC n’ont jamais une crise existentielle telle qu’elle les conduise, tel le héros du film, à assumer leurs erreurs devant la presse déchaînée ! Dans la vraie vie,  l’AC accumule transgressions, scandales, conflits d’intérêt etc. mais qui démissionne ? Responsables mais pas coupables. Là, le film est bien en dessous de la réalité.

The Square met pourtant les pieds dans le plat financier. Le grand défi d’un musée d’art moderne et contemporain, nous dit-on explicitement, c’est, non pas l’Art mais «  l’argent, trouver l’argent quand un collectionneur peut dépenser en un jour ce que le musée dépense en un an».  Le film ose faire entendre la vox populi (cela suffirait à le suspecter de populisme) qui trouve scandaleux que l’argent du contribuable ait servi à financer une campagne de pub ignoble. Ils sont rares les films avec l’art pour centre d’intérêt et le dernier, en 2008, «  Musée Haut, Musée Bas », de Jean-Michel Ribes, se refusait à parler financement.

Le rapport à la presse et aux médias est bien vu : « pour faire écrire les journalistes, il faut être clivant », se distinguer du vacarme  (médiatique). Ce qui explique bien des dérapages : faire n’importe quoi pourvu que ça mousse. D’ailleurs, la vidéo de promotion commandée par le musée, et qui va précipiter le destin du conservateur, est beaucoup plus dans l’esprit de l’AC avec son « explosivité »…que l’installation The Square proprement dite. Mais n’en disons pas plus … Tout auteur est « en concurrence avec les catastrophes et autres calamités alors que la capacité d’attention du spectateur est limitée à 10, 15 secondes ». Pas celle du spectateur de cinéma, espère Ruben Östlund : le film dure 2h20. Les lecteurs du Grain de Sel qui ont de l’endurance, pourront lire, ci-dessous, une suite de mon analyse car s’il baigne dans le milieu de l’AC, le propos du film est plus vaste : scruter l’âme contemporaine, ou ce qu’il en reste, affrontée aux contradictions de ce que Muray appelait « l’Empire du Bien ». Les autres se dépêcheront d’aller voir The Square, avant qu’il disparaisse de l’affiche : bien des salles d’art et d’essai ne le programment pas, comme par hasard !

Christine Sourgins

Suite de l’analyse de The Square à l’intention des cinéphiles…

Outre l’AC, The Square critique la vie postmoderne avec ses laissés pour comptes : clochards, sdf, immigrés, sont présents, le héros les contacte en poursuivant son voleur. Il passe devant la pancarte d’une mendiante au résumé sidérant : « j’ai 3 enfants et du diabète ». Dans un monde où la carte bancaire remplace la monnaie qu’il est difficile de donner : plus de pièces ! Rapidement le thème des enfants s’impose, ceux de Christian sont un tantinet blasés, ils contrastent avec l’ardeur de celui qui a été calomnié, l’injustice qui lui est faite le consume. Les personnages s’agitent  autour de cages d’escaliers mais le jeu visuel n’est pas gratuit car le fond de la cage d’escalier est un carré donc un « square ». Même chose pour la bande sonore qui enregistre beaucoup de hors-champ, le spectateur devient alors comme les personnages : il n’accède qu’à une partie du réel qui l’entoure.

Il se pourrait que ce film renvoie à un film plus ancien, en noir et blanc.  Film de 1951 qui se passait dans le sud, en Italie et non dans le nord de l’Europe. Mais  le propos des réalisateurs est identique :  comprendre, camera en main, où en est l’élite européenne (ou celle qui se croit telle) à telle époque. Avec Europe 51, Rossellini faisait jouer à Ingrid Bergman, le personnage d’Irène, qui n’était pas encore une bobo comme le héros du Square, mais une grande bourgeoise,  très chic, éperdue de mondanité. Lors d’un diner, son fils désespérant d’attirer son attention se jette dans l’escalier. Nous retrouvons les escaliers, la place centrale de l’enfance (et la mort d’un enfant) dans l’évolution d’Irène en 51 comme de Christian en 2017. Irène  prend conscience de la vanité de sa vie et s’intéresse aux déshérités avec une certaine culpabilité, comme Christian ; tous les deux auront maille à partir avec la Presse mais le parallèle s’arrête là. Poursuivre la comparaison des 2 films, c’est mesurer l’évolution drastique de l’Europe. En 1951, Rossellini vient de tourner un film sur St François d’Assise et il se demande : aujourd’hui, qu’adviendrait-il à un nouveau St François ?  Europe 51 donne : la réponse : le saint finirait interné en hôpital psy ! Comme Irène / Ingrid dans le film, folle pour sa famille mais traitée de sainte par le petit peuple. Entre 1951 et 2017 la dimension religieuse a disparu. Quoique.

Dans Square, les allusions à la religion sont rares : une  coupure de presse signale l’union d’un prêtre, d’un rabbin et d’un imam pour condamner le comportement du musée d’Art contemporain. Ailleurs, un personnage âgé, qui porte une petite croix, s’occupe d’un bébé. Le film est baigné par une musique de Bach (donc religieuse à l’origine) qui semble céder le pas à des sonorités plus « modernes ». Mais tout au long du film, le héros qui s’appelle Christian, comme par hasard, répète telle une incantation, la définition du Square :

“The square est un sanctuaire où règnent confiance et altruisme, en son sein nous sommes tous égaux en droits et en devoirs”.

Le Square c’est un sanctuaire ! De 1951 à 2017, religieux a muté du christianisme à l’Art contemporain qui est devenu une religion de substitution, un culte laïc qui prêche le vivre ensemble, la confiance (dans confiance, il y a foi) mais sans transcendance. Cette absence de transcendance est incarnée par la platitude du « square », du carré ; alors que la vie  entraîne les protagonistes dans des escaliers qui montent ou qui descendent…

Christine Sourgins


Traduction en italien par Anna Alda Rebecchi

« The Square”ovvero l’impossibile critica dell’arte contemporanea »

La stampa, abbastanza rabbiosa per  Palma d’Oro ricevuta da  » The square“ a Cannes, scoraggia lo spettatore: l’opera di Ruben Östlund sarebbe un opera anti-arte contemporanea al vetriolo, farcita di dilungamenti, con  una nullità detestabile come protagonista, Christian, conservatore di un museo di Stoccolma ……Ora, lungi da essere una farsa, coloro  che si aspettano di fare grasse risate  saranno molto delusi , il film procede  con abilità, misura, rigore; il suo personaggio centrale è  piuttosto toccante nel suo desiderio maldestro di accordare la sua coscienza con i fatti.
Il realizzatore conosce bene l’AC: Nicolas Bourriaud, il cantore dell’estetica relazionale, è citato non a caso. Non mancano né le opere tipiche di AC, come questi mucchi di ghiaia, né le loro disavventure capitate mille volte  : il servizio di pulizie spazza via innocentemente il capolavoro (degli spettatori non accorti ci hanno visto un’invenzione del regista). Ben evidenziato anche da Ruben Östlund, il gergo incomprensibile, la neolingua che articola nella stessa frase  » opera / non opera” per dire una cosa e il suo contrario…..l’AC adoratutto questo.
L’animalità lavora questa società raffinata la cui  vernice si sgretola: la giornalista ben inserita ha per animale di compagnia una scimmia e gli esteti si avventano in branco verso i pasticcini. In una cena di gala, l’uditorio si sente dire  » restate immobili, nascondetevi nel gregge », prima di subire una performance  ispirata ad un vero artista russo (Oleg Kulik ) che si prendeva per un cane e mordeva i visitatori; in The Square, un uomo-scimmia, più vero che in  natura, tiranneggia un’assemblea elegante di mecenati….. punto culminante e scena da antologia!

L’opera che dà il suo titolo al film corrisponde completamente all’ideologia dell’AC: propone al visitatore di passare da un tornello : sia del lato  » mi fido » o del lato  » non mi fido, dei miei simili. » L’AC è volentieri manichea, appoggiata alla tecnica: le scelte sono contabilizzate e sono affisse nell’esposizione del film, cosa fittizia ma così verosimile. Passato il tornello, il visitatore scopre al suolo un quadrato dove la sua fiducia è messa alla prova poiché deve depositare portatile e portafoglio …sperando di recuperarli alla fine della mostra.
A ben vedere: l’AC si crede partecipativa proponendo delle esperienze e non degli oggetti, ed è ciò che fa : il percorso del visitatore somiglia a quello di una cavia sperimentata e/o educata. La scelta fiducia/non fiducia non concorda con la vera vita, dove niente è tutto bianco o tutto nero, ma oscilla continuamente; nella vita, non si sfugge sistematicamente quello che ci assale, ma, alla prima bizzarria, si diffida. E la realtà va a riprendere Christian: dei ladri, piuttosto dotati per la messa in scena, gli rubano il suo portatile ed il nostro uomo non reagisce secondo l’altruismo esaltato dalla sua installazione, The Square.

Là si ferma la critica dell’AC. Perché manca a  » The Square“ l’ambiguità di una perfetta opera AC. Se l’ambiente ha detestato tanto il film,  è perché l’opera centrale è troppo benevola/gentile e perché l’eroe ci crede veramente, mentre il personale   dell’AC è certamente meno sempliciotto, molto più cinico. I veri attori di AC non hanno mai una crisi esistenziale che li conduca, come l’eroe del film, ad assumere i loro errori davanti alla stampa scatenata! Nella vera vita, l’AC accumula trasgressioni, scandali, conflitti di interesse etc…ma chi si licenzia? Responsabili ma non colpevoli. Là, il film è ben  al disotto della realtà.

The Square mette tuttavia i piedi nel piatto finanziario. La grande sfida di un museo di arte moderna e contemporanea, ci dice esplicitamente, questo è, non arte ma  denaro, “trovare il denaro quando un collezionista può spendere in un giorno ciò che il museo spende in un anno. » Il film osa far sentire la vox populi, ciò basterebbe a porlo in sospetto  di populismo che trova scandaloso che il denaro del contribuente sia servito a finanziare una campagna di pubblicità ignobile.
Sono rari i film con l’arte al centro di interesse e l’ultimo, nel 2008,  » Museo Alto, Museo Basso », di Jean-Michel Ribes, si rifiutava di parlare di finanza.

La relazione con la stampa ed i media è ben visto:  » per fare scrivere i giornalisti, bisogna essere disgreganti”, distinguersi dal baccano mediatico. Questo  spiega molte scivolate: fare qualsiasi cosa purché ciò sia esagerato. Del resto, il video di promozione ordinato dal museo, e che va a far precipitare il destino del conservatore, è molto più nello spirito dell’AC con la sua  » esplosività” …… che l’istallazione “The Square” propriamente detta.
Ma non diciamone oltre …. Ogni autore è  » in concorrenza con le catastrofi ed altre calamità mentre la capacità di attenzione dello spettatore è limitata a 10, 15 secondi ». Non quella dello spettatore di cinema, spera Ruben Östlund: il film dura 2h20. I lettori del “Grain de Sel” che hanno  resistenza, potranno leggere, più sotto, un seguito della mia analisi perché se giace nel mezzo dell’AC, il proposito del film è più vasto: scrutare l’anima contemporanea, o ciò che ne resta, a fronte delle contraddizioni di ciò che Muray chiamava  » l’impero del Bene. » Gli altri si affretteranno ad andare a vedere The Square, prima che sparisca dal manifesto: molte delle sale di arte e d’essai non lo programmano, come per caso!

Seguito dell’analisi di The Square all’indirizzo dei cinefili …..

Oltre l’AC, The Square critica la vita postmoderna con i suoi scarti: barboni, senza fissa dimora, immigrati, sono presenti ; l’eroe li contatta inseguendo il suo ladro. Passa davanti al cartello di una mendicante dal riassunto raggelante: “ho 3 bambini e il diabete. » In un mondo dove la carta bancaria sostituisce la moneta stata  è difficile dare: non più monete! Velocemente il tema dei bambini si impone, quelli di Christian sono un tantino indifferenti, contrastano con l’ardore di quello che è stato calunniato, l’ingiustizia che gli è fatta lo consuma. I personaggi si agitano intorno a gabbie di scale ma il gioco visuale non è gratuito perché il fondo della tromba delle scale è un quadrato , uno square  » .
Stessa cosa per la colonna sonora che registra molti fuori-campo, lo spettatore diventa allora come i personaggi: accede solamente ad una parte del reale che lo cinge.

È probabile che questo film rinvii ad un film più vecchio, in bianco e nero. Film del 1951 che era proiettato nel sud, in Italia e non nel nord dell’Europa. Ma il proposito dei realizzatori è identico: comprendere, cinepresa in mano, dove  è l’élite europea, o quella che si crede tale, in quell’epoca. Con “Europa 51” Rossellini faceva recitare ad Ingrid Bergman, il personaggio di Irène che non era ancora radicalchic come l’eroe di The Square, ma una grande borghese, molto elegante, assetata di mondanità. In occasione di una cena, suo figlio che dispera di attirare la sua attenzione si getta dalle scale. Ritroviamo nell’evoluzione di Irène in 51 come Christian in2017, le scale, il posto centrale dell’infanzia e la morte di un bambino. Irène prende coscienza della vanità della sua vita e si interessa ai diseredati con una certa colpevolezza, come Christian; tutti e due avranno difficoltà con la stampa ma il confronto si ferma là. Inseguire il paragone dei due film è misurare l’evoluzione drastica dell’Europa. Nel 1951, Rossellini ha appena girato un film su San Francesco di Assisi e si chiede: oggi, che cosa accadrebbe ad un nuovo San Francesco? “Europa 51” dà la risposta: il santo finirebbe internato in ospedale psichiatrico! Come Irène / Ingrid nel film, pazza per la sua famiglia ma trattata di santa dal popolino. Tra 1951 e 2017 la dimensione religiosa è sparita. Chissà come …

In The Square, le allusioni alla religione sono rare: un ritaglio di stampa segnala l’unione di un prete, di un rabbino e di un iman per condannare il comportamento del museo di arte contemporanea. Altrove, un personaggio vecchio che porta una piccola croce si occupa di un bambino. Il film è immerso in una musica di Bach, (dunque religiosa all’origine) che sembra cedere il passo a sonorità più  » moderne.” Ma per tutto  il film, l’eroe che si chiama Christian, come per caso, ripete come un incantesimo, la definizione di The Square :

« The Square è un santuario dove regnano fiducia ed altruismo, nel suo seno siamo tutti uguali in diritti ed in doveri. »

The Square è un santuario! Dal 1951 al 2017, la religione si è trasferita dal cristianesimo all’arte contemporanea che è diventata una religione di sostituzione, un culto laico che predica di viverlo insieme, con la fiducia (nella fiducia, c’è fede, ma senza trascendenza). Questa assenza di trascendenza è incarnata dalla piattezza dello  » square”, del quadrato ; mentre la vita trascina i protagonisti nelle scale che salgono o che scendono.

Christine Sourgins