Bientôt une Tour Eiff-elles ?

Par | 14 octobre 2025

NB: Pour ceux qui n’ont pu suivre la première, une seconde conférence-dédicace présentera « Anatomie de la beauté » cette fois, Hôtel de Jarnac 8 rue Monsieur à Paris, le mardi 4 novembre à 19 h, gratuite mais sur réservation à cap-aristee@orange.fr ; à vos agendas !

Le « Nobel des arts », le Praemium Impériale, a distingué en sculpture Marina Abramovic, « grand-mère de la performance »sic. Barbara Butch, DJ, « militante de l’amour » et artiste de la visibilité LGBTQIA+, remarquée lors de la « Cène » de la cérémonie des J.O, est promue directrice artistique de la 25e Nuit Blanche du 6 juin 2026. De nombreuses expositions célèbrent des plasticiennes (1) mais les femmes compositrices de musique ont bien plus de mal à revenir au premier plan que nos Artémisia, Suzanne Valadon ou Berthe Morisot : une peinture occupe l’espace, attire l’œil, tandis qu’une partition est vite oubliée dans un tiroir (2).

Mais comment rendre hommage aux femmes scientifiques oubliées ? Leurs travaux sont, évidemment datés, non actualisables, c’est l’inconvénient de la Science qui périme les recherches. Or sur la Tour Eiffel, dès 1889, figurent 72 noms de scientifiques : des chimistes (Lavoisier,) astronomes (Arago), physicien (Ampère), naturaliste (Cuvier), inventeur de la photographie (Daguerre)… etc mais aucun nom féminin. Pire, les ingénieurs de la Tour ont sans doute utilisé les travaux de la mathématicienne Sophie Germain, une théoricienne de l’élasticité, allégrement oubliée !

Une « commission d’experts » (3) a dressé une liste de 72 « femmes expertes émérites « , décédées, principalement de nationalité française et réclame un geste d’art contemporain promouvant la parité dans les sciences. Ces noms seront fixés en surplomb de la frise existante des 72 hommes, sur le pourtour extérieur du premier étage, «dans le respect des choix esthétiques de Gustave Eiffel », ce qui est vite dit.

Car en raison de la place limitée entre les poutrelles, d’honorables scientifiques mâles, au patronyme dépassant 12 lettres (le naturaliste Geoffroy-Saint-Hilaire) furent évincés : Eiffel tenait à la lisibilité. Or les femmes choisies ne seront pas nécessairement contemporaines des scientifiques désignés par Eiffel : choisir des noms contemporains ouvre la voie à tous les lobbys. Après les femmes, d’autres genres et transgenres vont exiger, eux-aussi, leur rangée de noms. D’autant qu’Eiffel avait aussi élu des industriels ou des entrepreneurs (Schneider pour l’acier, Vicat pour le ciment, etc.).  Pourraient donc prendre place d’éminents entrepreneurs, représentants de la communauté LGBT. Bref, les noms s’empileront, égaux en dignité monumentale, dans l’illisibilité générale…

Pire, l’exercice va se retourner contre les femmes : Qui « Germain » évoquera-t-il ? Un prénom masculin ou Sophie Germain la mathématicienne ? Et « Curie », Pierre ou Marie ? Vu la baisse de culture historique, beaucoup s’imagineront bientôt que, fin XIXème, mais tout allait bien : les femmes étaient déjà les égales des hommes ! Une fausse-bonne idée teintée de révisionnisme. Clamer « ce sont ces domaines très peu féminisés », invoquer la faiblesse du recrutement au CNRS et l’aide qu’offrirait la Tour, c’est confondre un monument historique avec France Travail.  Alors que, telle quelle, l’injustice criante, absurde, de cette mâle décoration, stigmatise fort justement le XIX siècle et montre au citoyen d’aujourd’hui d’où nous revenons et la justesse du combat féminin pour que cesse cet ostracisme.

Si on veut vraiment rendre hommage aux femmes oubliées, il faut autre chose qu’un gadget pour comité Théodule (3) : un musée consacré à l’occultation de la science au féminin serait plus pédagogique et efficace.  Ne me dites pas qu’avec la muséite ambiante personne n’y a pensé : il y aurait un musée du chien (à Aubervilliers), du terrorisme (bientôt à Suresnes), des HLM (dans les tuyaux, à Saint Denis) et rien pour les femmes scientifiques (4) ?

Christine Sourgins

  • (1) Otobong Nkanga plasticienne d’origine nigériane au Musée d’Art moderne de la ville de Paris, la brésilienne Lygia Pape à la collection Pinault, Alina Szapocznikow sculptrice d’origine polonaise au musée de Grenoble ou, au musée Cognacq-Jay consacré au XVIIIéme français, Agnès Thurnauer plasticienne franco-suisse vivante.
  • (2) La violoncelliste Raphaela Gromes qui déplore avoir rencontré, au cours de sa formation, si peu de compositrices alors « qu’il y a tant de chefs-d’œuvre à découvrir », sort un double album, Fortissima, pour y remédier.
  • (3) En mars 2025, se met en place un comité scientifique – associant représentants de l’État, femmes scientifiques de renom, experts du patrimoine, historiens de la tour Eiffel, représentants des services techniques,  autorités administratives et associations engagées – a été lancé par Ville de Paris, la Société d’exploitation de la tour Eiffel (SETE) et l’association Femmes & Sciences…
  • (4) Les femmes ont été occultées, moins de leur vivant (certaines parvenaient à une vraie notoriété) qu’après leur mort, la faute aux historiens ? Mais connaissez-vous Andrée Violis (1870-1950) ? Journaliste, correspondante de guerre, grand reporter saluée par Albert Londres, Kessel ou Saint Exupéry et qui sautait encore en parachute à 75 ans. Non ? Alors dans l’amnésie « genrée » les journalistes ne sont pas en reste !