L’année commence par deux aveux, ou plutôt deux désaveux tacites.
Surfréquentation des musées
Laurence des Cars, présidente directrice du Musée du Louvre, l’a confié : son musée étouffe, les visiteurs ont « l’impression d’être en transports en commun ». Après deux ans de crise sanitaire, la reprise ragaillardit les institutions culturelles : huit millions de visiteurs en 2022 pour le Louvre qui, avant l’épidémie, en « accueillait »10 millions. La saturation ne date donc pas d’aujourd’hui or que serinait-on pour nous imposer les pitreries de Jan Fabre au Louvre, le homard de Koons à Versailles et j’en passe ? Que ces provocs de l’AC étaient indispensables pour … faire venir du monde en ces vieilleries ! Le tourisme de masse dégrade le patrimoine depuis longtemps (faut-il citer Venise ?) mais nos thuriféraires de l’AC s’employaient à convaincre le grand public du contraire. Laurence des Cars ose sortir enfin de l’hypocrisie, avec une jauge de 30 000 visiteurs par jour, une heure d’ouverture en plus, envisageant même de « casser le dogme » de la Pyramide, entrée unique prévue pour une fréquentation de 4 millions par an seulement.
L’envolée du marché
Va-t-on cesser de faire du chiffre pour le chiffre (maxime qui, au passage, a détruit aussi l’hôpital) : le patrimoine est fragile, on ne peut l’exploiter abusivement, retour du principe de réalité ? Ironiquement, l’envolée du marché de l’art, consécutive à la reprise et à l’inflation (l’art a toujours été perçu comme valeur-refuge) va dans le même sens. Le directeur de l’Albertina de Vienne, s’offusque : « le marché de l’art est obscène en ce moment », « les gens ont complètement perdu la raison » et de décrire sa visite de l’atelier d’un jeune ghanéen établi à Vienne. Interrogé sur le prix d’une œuvre, l’artiste répond : « 20 000, non 40 000, non…200 000 ». Le vénérable directeur de l’Albertina avoue alors une pensée non politiquement correcte, pourtant relayée par le Monde : « le mois prochain, ce sera vendu aux enchères 700 000… parce qu’il coche toutes les cases de ce qu’on attend en matière de diversité » sic ! Impossible de se replier, dit-il, sur les œuvres des femmes, longtemps sous-cotées : un Joan Mitchell qui valait 500 000 dollars il y a dix ans, coute aujourd’hui 5 à 15 millions ! Voilà qui change le fonctionnement des musées publics « car toutes les valeurs d’assurance vont monter au-delà de nos capacités », « organiser des expositions va devenir de plus en plus compliqué pour nous ».
Désormais « un certain public se focalise sur ce qui compte aujourd’hui, hélas, c’est ce qui est cher ». Tiens, tiens, sobre désaveu de l’Art financier qui a cornaqué et formaté ses groupies via les médias pour le compte des investisseurs. Or voilà notre homme qui redécouvre la mission des musées « les seuls endroits où le public peut découvrir l’art sans avoir à se soucier de sa valeur marchande » sic ! Et, surprise, « les musées vont devoir écrire une autre histoire de l’art » ; contraint et forcé « l’Albertina va se concentrer sur ce qui est bon marché ! Nous voulons démontrer que cela vaut tout autant » ! Bref, les musées vont cesser de courir après le modèle de l’AC, cousu de chiffres et records, pour viser la qualité : une révolution quasi-copernicienne.
2023 ne commence pas si mal !
Christine Sourgins
(1) Harry Bellet, « Le marché de l’art est obscène en ce moment », Le Monde, 17/12/22, p. 26.