L’arbitraire menace-t-il ?
En pleine contestation de la réforme des retraites, le milieu culturel « s’interroge » sur les efforts du chef de l’Etat en faveur de l’emploi d’une sénior, Mme Catherine Pégard. Renouvelée deux fois à la tête du Château de Versailles, son dernier mandat s’est terminé en octobre 2022. A 68 ans, atteinte par la limite d’âge, la loi ne l’autorise pas à briguer un quatrième mandat… or elle est toujours en place. En décembre, un “décret Pégard” tenté par le gouvernement pour la maintenir en fonction, fut retoqué par l’impitoyable Conseil d’Etat. Rebelotte en janvier 23, cette fois avec un amendement… vantant les mérites culturels exceptionnels de la directrice de Versailles (comme par exemple le fameux le « Vagin de la reine » en 2015) ? Pas du tout, l’amendement prolongeait « jusqu’à fin 2024 le mandat des directeurs d’établissements publics participant à l’organisation des Jeux olympiques » … Le Château de Versailles, site olympique pour les épreuves d’équitation, va-t-il sauver le soldat Pégard ? Non, vu l’opposition des inflexibles Sénateurs. Y-aurait-t-il pénurie de vocations ou de compétences ? Pourquoi ce poste est-il si sensible ? Les journalistes, qui sont très méchants, ont trouvé une explication, ainsi l’éditorialiste d’Europe N°1. Cliquer
Y aurait-il de l’arbitraire dans l’octroi des postes culturels comme il y en a dans l’autorisation à occuper l’espace public par des œuvres d’art financier ou même d’art commercial ? C’est l’avis de certains commentateurs s’étonnant de voir Julien Marinetti investir jusqu’en mars l’avenue George V avec une dizaine de sculptures animales, « feel good » et peinturlurées façon Street art : par quel concours, selon quels critères ces œuvres-là, ces sensibilités-là, s’imposent-elles dans l’espace public ? Mystère. Au même moment Yayoi Kusama racole l’œil avec sa sculpture gonflable sur la façade de Louis Vuitton : la disneylandisation de Paris s’intensifie à mesure que se multiplient les points noirs sur la culture qui subit à son tour l’inflation. L’administrateur du musée d’Orsay estime que le coût de l’énergie va représenter 12% de son budget en 2023, et Beaubourg en 2022 est déjà déficitaire de 5 millions… épongés par une subvention de l’Etat…
Menace du sensitivity reading
Mais la menace la plus sournoise est le sensiblement correct, déjà à l’œuvre depuis longtemps mais risquant de s’intensifier et même de s’institutionnaliser si on en croit l’exemple des USA. Là-bas, les « sensitivity readers » s’imposent aux éditeurs qui n’osent plus rien publier sans l’avis de ces relecteurs que d’aucun, en d’autres temps, qualifieraient de « commissaires politiques ». Chargés de traquer « les stéréotypes offensants », ces « relecteurs en sensibilité » n’hésitent pas dire à un écrivain comment son personnage doit se comporter dans son roman ! Ces relecteurs professionnels déclinent des spécialités au spectre large : « personnages LGBT », « culture drag », « dystonie », « style de vie végétarien et pescétarien », culture iroquoise ou geek, une journaliste (1) a trouvé cette présentation des domaines de compétence : « blanche, musulmane (convertie), autisme, surdité, bipolarité de type 1 » sic. Peut-on imaginer un monde où publications, films, chansons, expositions etc. soient sous les diktats de ces relecteurs en susceptibilités ? Le « sensitivity reading » est totalement subjectif, il s’excite sur ce qu’un groupe de personnes va potentiellement ressentir, ce qui n’oblige pas à la simple prudence mais paralyse la pensée, l’inspiration ; ce que déplorent déjà, outre-Atlantique, les quelques créateurs qui osent protester.
Christine Sourgins
- Cl. Goldszal, Les « sensitivity readers », Le Monde, 15 janvier 2023.