La complainte du « pays-musée »

Par | 22 novembre 2025

NB : je dédicacerai mes deux livres sur la beauté au 10e Salon du Livre et de la Famille,  samedi 29 novembre de 14h à 19h, à la Mairie de Paris 8, entrée libre, 3 rue de Lisbonne.

Il règne sur cette fin d’année, où s’achève le premier quart du XXIème siècle, un parfum de nouveau monde supplantant l’ancien. Nos grandes institutions muséales étatiques « désargentées, usées par les pesanteurs », sont concurrencées par les fondations privées (celles d’Arnault, Pinault etc.) « riches et branchées ».  Le centre Pompidou a fermé pour 5 ans de restauration, le Palais de Tokyo fermera pour 2 ; le Louvre voudrait se réinventer mais vient de perdre ses billes, pardon ses bijoux, au moment où la fondation Cartier brille de tous ces feux. Après avoir migré une première fois à Paris, elle vient d’intégrer, rue de Rivoli, l’ancien Louvre des antiquaires rénové. Quand elle ouvrit à Jouy-en-Josas en 1984, les centres d’art régnant en centre-ville la toisaient de haut : est-ce par jalousie que le Monde titre « au centre de Paris, l’axe Rivoli gagné par la muséification », s’inquiétant du surtourisme à « déconcentrer pour que les gens aillent visiter les autres quartiers » (28 octobre 2025)?

Pire, la concurrence est internationale :  à Rome, après 20 ans d’abandon, une partie de la Tour médiévale dei Conti s’est effondrée, tuant un ouvrier, tandis que l’Egypte inaugure en fanfare son Grand musée égyptien jouxtant les pyramides. Un de ses promoteurs, Zahi Hawass, assure : « un pays qui a de la culture et qui l’aime ne compte pas. Un musée n’est pas une question d’argent. C’est une question de respect de sa propre histoire »(1). De quoi faire honte à la pingrerie de la rue de Valois ou de Bercy envers le patrimoine, alors que la série noire continue au Louvre : voilà que les planchers s’effondrent, obligeant à fermer fissa la Galerie Campana, située en dessous, privant les visiteurs de céramiques grecques !

Radio France (2) entame alors la complainte du « pays-musée » qui se fissure : « ce qui devait être l’incarnation de la grandeur nationale ressemble soudain à une longue liste de travaux urgents. Le Louvre devient alors un symptôme : la France conserve, restaure, classe… mais peine à inventer, à bâtir, à surprendre. Un pays-musée n’est pas un pays mort, mais un pays où le futur a perdu la voix », où « les symboles pèsent plus lourd que le présent (…) où l’on continue d’admirer ce qui fut, faute de pouvoir raconter ce qui vient »sic.

Autrement dit, la victime, le patrimoine, a toujours tort ! Or c’est, bien au contraire, parce qu’on dépense sans compter, n’importe comment, pour « ce qui vient », dont l’AC, l’art trop contemporain, que l’on délaisse l’entretient basique de « ce qui fut ».  Sur les 8 milliards du budget de la culture, un seul parvient au patrimoine mais 4 iront à l’audiovisuel public (ces copains que le monde entier nous envie !).  Pour cela, le Louvre économise les bouts de chandelle, chiche les agents de surveillance, fait l’impasse sur la sécurité hors d’âge, l’important étant d’inaugurer une salle à manger pour hôtes de marque : 500 000 euros pour les petits fours mais rien pour les diamants !    Le Louvre est bien le symptôme d’une France qui n’a pas de problème de recettes (elle taxe le plus au monde) mais de dépenses désordonnées !

Si la France était un pays-musée, ses musées ne seraient pas dans cet état pitoyable et leurs responsables, férus d’histoire, ne pourraient se réfugier derrière « l’évolution des modes opératoires » des malfrats, car le casse du Louvre de 2025 ressemble au vol des bijoux de la Couronne en 1792, où les voleurs, sous le nez des gardiens, étaient déjà passés par un balcon en brisant un carreau !

La France n’est pas un pays-musée mais un pays orwellien (3), où une ministre de la Culture peut affirmer sans rire : « Il n’y a pas eu défaillance, il y a eu des failles ». C’est le contraire : pas de failles au Louvre, les gardiens ayant fait leur possible, mais un sous-investissement général donc une défaillance chronique de la gouvernance…

Christine Sourgins

  • (1)E. Brachet, S. Forey, « L’Egypte ouvre enfin son musée pharaonique », Le Monde du 31/10/25, p. 22.
  • (2) Podcast L’Humeur du matin par Guillaume Erner du 18 novembre 25.
  • (3) Dans la novlangue d’Orwell tout est inversé : la paix c’est la guerre etc…