La Peinture revient : à cloche pied ?

6 mars 2023

Pas de doute, Harry Bellet, collaborateur régulier au Monde, aime la peinture : Wayne Thiebaud, un peintre américain inconnu jusqu’ici, l’émerveille avec sa technique laissant filer un « andain » de sa brosse etc. Dans les colonnes du Monde, on peut vanter un « papy du Pop-art » sic méconnu mais s’extasier de la découverte d’un peintre local, français, semble inconcevable. Si la Peinture revient c’est donc toujours d’ailleurs. Pourtant, 10 jours plus tard, H. Belley va réussir le petit exploit de parler des laissés pour compte… doublé d’un coup de Jarnac ! Son article titré « Foires et galeries font de l’ombre aux salons d’artistes »(1) paraît quand Art en Capital se tient au Grand Palais éphémère, regroupant les 2000 artistes des salons historiques (2).

Coup de Jarnac

Harry Bellet rappelle que le tout premier salon de 1667 comblait déjà une carence : baisse des commandes publiques (royales) jointe à l’interdiction de tenir échoppe comme des boutiquiers. Pas de commande, pas de galerie : c’est bien ce qui menace aujourd’hui tous les artistes non-duchampiens, non officiels, non conceptualisants, ceux qui ne vivent pas à Nouille-Orque et voudraient juste continuer leur art de l’œil et de la main. Or quelle image illustre l’article de Bellet ? Un cliché noir et blanc du Salon des indépendants… de 1953, avec messieurs en bérets et dame à chignon ! Le Monde pour imager un discours de M. Macron publie-t-il une photo du président Coty ? Ou pour évoquer la guerre d’Ukraine, un cliché de celle d’Indochine ?  Il ne s’agit évidemment pas d’incompétence, juste du poids du mépris envers des artistes jugés « ringards ». Rappelons qu’un auteur n’est pas responsable des titres et illustrations de son article, lot du rédacteur en chef : l’idée est de pouvoir homogénéiser la revue ou le journal mais il y a là un biais qui permet, parfois, de flinguer le texte par l’image ou le slogan… Ce type de com à double langage permet de délivrer des messages différents à deux communautés : aux dominants la photo assure « c’est un bien un combat d’arrière-garde », tandis que le texte ravit les exclus, enfin mentionnés.

Le prix du mépris

L’Etat, qui a applaudi l’arrivée d’Art-Basel au Grand Palais, préfère hautement l’AC financier international aux sociétés d’artistes en autogestion, fonctionnant sur le principe associatif et non pas commercial comme une foire ou une galerie. Le fameux « ruissellement » se révèle chimère : tapis rouge aux grandes foires quand la subvention du ministère de la culture aux salons d’artistes est passé de 300 000 à… 55 000 euros. La location du Grand Palais coûtant cher, les artistes exposants voient leurs frais s’envoler !

Si Bellet rappelle des noms prestigieux de l’art moderne qui exposèrent en ces salons, point de reportage sur place. L’anti- sélection (obligée !) par l’argent n’est pas gage de qualité. De plus en France, le métier a été cassé : Bellet, qui félicite W. Thiebaut de peindre sans photographie ni rétroprojection (et bien sûr sans magouillages genre photoshop apparus depuis), aurait bien du mal à trouver le bon grain au milieu de l’ivraie. Dommage de ne pas avoir signalé la qualité de l’exposition de la collection Sérane consacrée à l’Art visionnaire et visible exceptionnellement à Art en Capital cette année. Il est vrai qu’Hervé Sérane avait dénoncé, y compris par livre (3), l’omerta médiatique comme étatique dont avait fait l’objet sa galerie : la boucle est toujours bouclée !

 Si la peinture revient, les croche-pieds ne lui manquent pas.

Christine Sourgins

  • Harry Bellet , Le Monde du 19/02/23, p.23.
  • Artistes Français (1880), Indépendants (1884), dessin et peinture à l’eau (1949-54)  ou Comparaison (1954).
  • Hervé Sérane, « Voyage au bout de l’art moderne », Michel de Maule, 1997. La Galerie Râ (1977-1996) fut interdite de Fiac, évincée des achats de l’Etat ; la presse ne s’inquiéta jamais de l’ostracisme dont le courant des Visionnaires fut victime.