Au Musée de Brooklyn, le nouvel accrochage place les portraits XIXème anormalement bas, au point de forcer à baisser les yeux. Pourquoi ? « Cette mer de visages blancs »sic offensait la conservatrice et activiste Stephanie Sparling Williams (1), qui conteste « le privilège blanc » : « Nous leur disons : vous avez eu votre tour, maintenant, asseyez-vous »re-sic. L’humiliation en guise de rééducation muséale ? En 1866, Louis Rémy Mignot peint les chutes du Niagara, montrant le site avant sa détérioration par le tourisme de masse. Grâces soient rendues au peintre ? Pas du tout, un panneau explique que les peuples indigènes ont « été déplacés en raison de l’arrivée des colons européens et des touristes comme Mignot ». Plus loin, le portrait d’une famille de colons avec un enfant noir : félicitations pour cet intérêt inclusif, rare à l’époque ? Vous n’y êtes pas. L’œuvre a été corrigée par un artiste afro-américain qui a flouté les blancs… pour faire de l’enfant le personnage principal.
Voilà qui ressemble fort à du révisionnisme où l’on réécrit l’histoire en repeignant les tableaux comme ils auraient dû être. Sparling Williams assume de revisiter « une collection d’art américain largement blanche » (2): « L’interprétation est un projet permanent, et nous pouvons, et devons, introduire des termes différents » dit-elle, « à travers le regard et les sensibilités critiques des communautés non-blanches. » Le rééquilibrage est en bonne voie : salle des Nus, Nani Chacon, artiste navajo, représente un couple transgenre : Quatre genres sont nés (2022). Femme/ indienne/ attention transgenre : forcément un chef d’œuvre !
Ailleurs, c’est la directrice de la National Gallery de Washington qui est une spécialiste de l’art sud-américain (nullement le sujet de la National Gallery) mais c’est une femme, donc promue. Le même musée a annulé une exposition sur l’art baroque à Gênes : inacceptable avec 90 % d’artistes hommes blancs ; le conservateur qui l’avait conçue a été viré, non mais !
Comment casser le narratif
Dans les musées anglo-saxons, on s’emploie à « casser le narratif classique chronologique et occidentalo-centré » : les paysages de Constable sont accusés de nationalisme, un Chardin avec une « Dame buvant du thé » montre un crime : consommer un produit colonial en profitant du travail des esclaves. Idem pour les toiles où figurent des épices, du tabac. Et les statues antiques ? C’est évident, elles servent la « suprématie blanche » – alors que l’on sait qu’elles étaient peintes ! « Quelle différence y a-t-il, entre quelqu’un qui pense que la Terre est plate et un autre, certain que les sculptures grecques sont racistes ? » se demande Didier Rykner dans son dernier livre qui expose les ravages de l’inculture et de l’idéologie wokistes « Mauvais genre au musée » (Les Belles Lettres, 280 pages)
Cette folie s’est mondialisée grâce à l’ICOM : en 2007, le Conseil international des musées définissait la tâche de ces derniers par : acquérir, conserver, étudier, exposer. Bien. Mais en 2022, pendant que la planète tentait de sortir du Covid, l’ICOM en a profité pour changer la définition du musée : « étude » est devenu « interprétation », avec mise en avant de l’inclusivité, la durabilité, et participation de « diverses communautés ». On voit les résultats du changement de définition du musée … après celle de l’art, ce qui fut et reste la grande affaire d’un certain Art contemporain, l’AC.
La tentation de plaquer des idées états-uniennes sur une réalité européenne démange nos « élites » qui ne voient nul amalgame, nulle iniquité à dire « tout l’Occident est coupable, son art aussi ». Or l’immense majorité des populations européennes étaient constituées de paysans (soumis au servage jusqu’à Louis XVI) puis, avec la révolution industrielle, d’ouvriers eux aussi asservis, par leurs conditions de travail exténuantes, y compris les enfants, avec coups de grisous et silicose dans les mines, mutilations par les machines-outils, quand la troupe ne tirait pas sur les récalcitrants etc. Tout cela est systématiquement omis, biffé. Mais surtout, s’obnubiler sur le passé colonial détourne l’attention des asservissements contemporains : l’ubérisation ou les petites mains de l’informatique par exemple (les modérateurs qui deviennent fous à modérer des contenus insoutenables vivent pourtant dans les pays pauvres… mais ça n’intéresse pas grand monde).
Christine Sourgins
(1) A. Leparmentier, « Le Musée de Brooklyn milite par l’accrochage » Le Monde 06/02/25, p.22.
(2) La collection compte moins de 15% d’œuvres de femmes et moins de 5% d’artistes afro-américains, asiatiques ou autres…