L’ère de la contrefaçon

14 mars 2017

Abraham Poincheval rêvait de repousser ses limites physiques et mentales. En d’autres temps il eut découvert des terres australes, plongé en eaux profondes, escaladé l’Everest ou la lune. Mais tout cela a été beaucoup pratiqué et très, très médiatisé. Le petit Poincheval deviendra donc artiste d’AC friand de performances ou  «  la vie en autarcie, l’enfermement, l’immobilité ou la perte progressive des sens sont pour lui des moyens d’exploration du monde et de la nature humaine » comme le claironne le site du Palais de Tokyo qui l’expose actuellement. Intéressant programme, qui nous permet donc de dire à un malade atteint de sclérose qu’au lieu de geindre, il a une chance extraordinaire : sa maladie qui restreint sa liberté de mouvement jour après jour, accroît sa compréhension du monde ! Dans le cas contraire, le malade est ringard, un adepte de la souffrance à l’ancienne, bref, un obscurantiste qui n’a que ce qu’il mérite, alors qu’un des messies de l’AC lui montre le chemin qui transmute le mal en expérience exaltante.

De même, il ne faudra plus maintenant qu’un prisonnier immobilisé dans un cachot de la taille d’un cercueil vienne se plaindre : encore un réactionnaire qui ne connaît pas sa chance comme le lui démontre le sieur Poincheval qui du 22 février au 1er mars 2017 a vécudans une grande pierre calcaire sculptée selon la silhouette. « Elle est présentée ouverte avant et après la performance, dévoilant le matériel de survie dont elle est équipée » c’est plus rigolo que la station orbitale puisque, insiste le Palais de Tokyo, «  elle devient à la fois une capsule spatiale permettant à l’artiste de réaliser un voyage intérieur, une enveloppe protectrice tout autant qu’une cellule d’isolement » et de louer la préparation logistique, physique et mentale de Poincheval, de quoi rendre jaloux le cosmonaute Thomas Pesquet. 

Après avoir tenté «  d’échapper au temps humain et d’éprouver la vitesse du minéral »sic, Poincheval enchaînera avec Œuf, à partir du 29 mars 2017 pour une durée indicative de 21 à 26 jours. « Qu’un homme couve des œufs m’intéresse parce que cela pose la question de la métamorphose et du genre » déclare l’impétrant(e)  poulette. «  Pour la première fois dans ses recherches, Abraham Poincheval se confronte au monde vivant »  glousse le Palais de Tokyo ». Certes, Poincheval avait déjà vécu …. dans un ours mais mort et naturalisé. Voilà l’artiste qui se substitue à l’animal, le temps de la gestation : joyeuses Pâques ! Les amis des animaux devraient se mobiliser : après l’éclosion va-t-il abandonner ses pauvres poussins sous prétexte que l’expo est terminée ? Ce serait une forme de maltraitance animale qui devrait valoir au Palais de Tokyo fermeture par les services vétérinaires !  Abraham Poincheval est donc « assis ou allongé dans un espace clos, un vivarium qui ressemble à une vitrine d’exposition … Limité dans ses mouvements, face aux visiteurs, l’artiste semble inactif » sic. Faut-il en déduire que les zoos humains qui mirent en scène des populations exotiques n’étaient indignes que pour n’avoir pas recueilli le consentement éclairé des indigènes ? Le dossier de presse  finit en picorant une référence littéraire : Poincheval «  devient comme Toine, l’anti-héros de la nouvelle de Guy de Maupassant du même nom (1885), immobilisé par une attaque cardiaque et forcé par sa femme à couver des œufs »…

ATP

Un homme qui fait semblant d’être une poule ; un mécène, Bernard Arnault, qui fait semblant de réhabiliter le défunt musée des Arts et Traditions Populaires  : revivifier ce musée fut le cocorico poussé par la Mairie de Paris et la presse. En réalité c’est le site, la coquille vide du musée qui sera couvée, pardon, retravaillée par l’architecte Gehry…la substance d’un musée, qui fleurait bon le terroir (cf photo), s’en est allée.

L’époque est aux faux semblants et le tribunal  correctionnel de Paris le souligne en condamnant le 9 mars Koons et  Beaubourg. Comme le pressentait le Grain de sel du 3 février 2015  cliquez , la sculpture Naked  réalisée en 1988 par le plasticien américain était bien la « contrefaçon » d’un cliché (de 1975) du photographe français Jean-François Bauret, représentant deux enfants nus, le garçon offrant à la fille un bouquet de fleurs. Le tribunal de grande instance a condamné la société dont Jeff Koons est le gérant, et le centre Pompidou à verser 20 000 euros aux ayants droit du photographe en réparation du préjudice subi, plus 20 000 euros pour frais de justice. Jeff Koons LLC devra également 4 000 euros supplémentaires à la famille pour avoir reproduit l’œuvre litigieuse sur son site Internet. Des sommes ridicules en regard des 8 millions de dollars payés en 2008 pour un exemplaire de Naked.

La contrefaçon reste donc rentable …

Christine Sourgins