Les tribulations du « mieux disant » culturel

18 avril 2023

La transcription d’une directive européenne met en ébullition même le célèbre galeriste Kamel Mennour : les Echos titrent « Comment la France s’apprête à saborder son marché de l’art ».  Car la TVA à 5,5 % est une exception française et l’Europe réclame, avant 2025, notre alignement sur une taxe générale de 20%, celle-ci portera donc aussi sur la vente des œuvres d’art comme sur leurs importations de pays hors UE. Le discours fondateur de l’Europe s’est-il inversé ? Souvenez-vous : la disparité des niveaux de vie européens n’était pas un problème puisque l’Europe s’alignerait toujours sur le « mieux disant » et appliquerait la « clause de la nation la plus favorisée ». Trente ans plus tard, en tous domaines, la logique s’inverse (si on travaille plus ailleurs pourquoi travailler moins dans l’hexagone, etc.).

Une taxe à 5,5% ou 20% ?

La France représente aujourd’hui la moitié du marché de l’art européen, elle profite évidemment du taux bas de 5,5 %, qui, joint au Brexit, a favorisé l’arrivée à Paris des grands marchands étrangers.  Mais à 20 %, les collectionneurs internationaux vont vite comprendre qu’ils peuvent acheter le même artiste moins cher ailleurs, les grandes ventes se délocaliseront, les marchands s’étant domicilier hors EU : ce n’est plus 5,5% qu’empochera l’Etat mais 0 pointé. Sans compter toute une filière d’encadreurs, restaurateurs, transporteurs etc. d’artistes bien sûr (et pas que des artistes d’Art financier), dont l’avenir est compromis. La France, passée en 20 ans de 3 à 7 % du marché mondial de l’art, risque de couler au fond du classement. Bercy plancherait sur une solution de rechange : rendez-vous pour la prochaine loi de finance, à l’automne…

Le petit et le grand patrimoine

Quid du Patrimoine enraciné, bâti, les pouvoirs publics auraient-ils enfin pris conscience de son piteux état ? En 2021, alors que Notre-Dame de la Daurade subit un départ de feu, seuls 2 plans papier format A4 étaient disponibles pour l’ensemble des intervenants et ce à l’ère des QR codes pouvant efficacement guider et aider les pompiers ! En janvier 2020, sur les 87 cathédrales gérées par l’Etat, seules 13 bénéficiaient de plans de sauvegarde visant à piloter les secours, répertorier et prioriser les œuvres abritées. Après le choc de l’incendie de Notre-Dame, 66 ont maintenant de tels plans, avec en plus 220 millions consacrés (cette année) à leur sauvegarde.

Mais ces millions brandis comme geste extraordinaire se relativisent, comparés aux 170 millions versés (chaque année) par la France à la Chine au titre de… pays en voie de développement ! Que la septième puissance mondiale « aide » la seconde n’est pas un poison d’avril (1)mais encore une inversion logique, qui plombe les comptes. On comprend que Stéphane Bern dans le JDD (2) alerte sur la déréliction du patrimoine des campagnes, moins médiatisé, c’est pourtant lui qui donne sa saveur aux paysages et à un certain art de vivre, mais il passe après les grands monuments : « si on détruit notre patrimoine, on viendra nous voir pour quoi ? Nos éoliennes ? » cingle-t-il. Il réclame un secrétariat d’état dédié et même une « police du patrimoine » « pour qu’on arrête de faire n’importe quoi en matière de restauration ».  Quant à la restauration de Notre-Dame, pour le coup un monument phare attirant tous les regards médiatiques, elle va bon train :  l’ouverture est prévue au public pour le 8 décembre 2024.

Christine Sourgins

  • en 2021, la France a déboursé (emprunter serait plus juste) 13 milliards d’euros pour les pays éligibles à l’Aide pour le Développement.
  • JDD du 9 avril 2023, p.3.