Qui sème le vent…

4 avril 2023

Un président de la République dans Pif Gadget, un ministre des retraites lançant, en pleine tempête, son coming out dans Têtu, une secrétaire d’État posant dans Play Boy, peut-on trouver plus étonnant (1) ?

Oui, l’AC l’a fait. Car il est des déclarations à front renversé (2), que, même en rêve, on ne croirait pas possibles. Prenons Jean-Luc Verna, un poulain de la Villa Arson à Nice (pépinière d’Art très contemporain) :  plasticien, dessinateur, sculpteur, photographe, chorégraphe, performeur, comédien, musicien et j’en passe, un pluridisciplinaire absolu. Un artiste d’AC pur sucre  mais, particularité notable, l’homme tient au dessin, ce qui n’est pas si fréquent. Il installe cette pratique  autour « de son propre corps, piercé et maquillé» qui devient alors un « support de création ». Non sans humour, il intitule ses dernières expos, certes un peu « m’as-tu vu » (oh, si peu ) : « Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? ― Non ».

Question transgression, l’homme ne reculait pas. On se souvient de son dessin de tatouage « Re-mademoiselle Jésus » de 2002 où il exhibait un Jésus barbu, à moitié nu sous sa nuisette, se trémoussant telle une drag-queen aguicheuse. Ce messie de trottoir enchanta et illustra le livre écrit par Mgr Rouet et G. Brownstone, « l’Eglise et l’art d’avant-garde » (Albin Michel), c’est dire. Les artistes d’AC obtiennent souvent des postes d’enseignement et Verna enseigna à la villa Arson pendant 20 ans, aujourd’hui à l’Ecole nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy. Ainsi, certains pensaient pouvoir transgresser en rond quand le wokisme survint. Et à Cergy, rien ne va plus.

Pourtant J-L Verna avoue que « quand le wokisme est arrivé, j’étais plein d’espoir, cela allait apporter de l’air frais ». Mais voilà « cela donne des groupes fermés, beaucoup d’entre soi, les queers avec les queers, les racisés avec les racisés. Ces gens non binaires ont une vision très binaire (…) Plus ils réclament de l’horizontalité, plus ils recréent de la verticalité ». Ironie du sort, l’entre soi de l’AC est un travers fortement dénoncé par une sociologue comme Nathalie Heinich !  Verna décrit une école où « mes collègues blancs, hétéros de plus de 50 ans, rasent les murs, ils sont considérés comme des agresseurs potentiels, suppôts du patriarcat. Le fait que je sois solidaire et que je le dise en public ne passe pas ». Et là, survient la fameuse déclaration de Verna, qui ne manque pas de courage :

« Moi qui suis une vieille pédale maquillée, qui leur ai pavé le chemin, j’ai senti du flottement quand j’ai dit qu’avant d’être homosexuel, j’étais un homme, et avant d’être un homme, un artiste. Que je n’étais pas fier d’être homosexuel, je ne l’ai pas choisi, comme je n’ai pas choisi d’être blanc. Et que j’accepterai de porter le drapeau arc-en-ciel lorsqu’il comprendra une couleur pour les hétérosexuels. » sic

Qui sème le vent… récolte la tempête : les puristes (y compris de la transgression) trouvent toujours un plus pur qui les épure ? Après avoir mentionné l’ex évêque de Poitiers, concluons avec celui de Meaux, Bossuet, qui au XVIIéme siècle ironisait sur ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes…

Christine Sourgins

  1. A noter : aucun poisson d’avril ici.
  2. 2 L. Carpentier et A. Tonet, « Quand les étudiants déboulonnent les icônes d’hier », le Monde du 26/27 février 2023, p. 21.