Vous avez dit populaire ?

12 mars 2024

Le musée des « Arts et traditions populaires » (Atp), niché dans le bois de Boulogne, fut une caverne quasi platonicienne, ses salles, souvent pongées dans l’obscurité, vous initiaient à la vie de nos aînés ; l’on frissonnait à la voix rocailleuse d’un artisan disparu, interrogé de son vivant au milieu de ses outils désormais exposés. Mais les bobos sont arrivés, pour ces urbains, tous ces meubles, ustensiles, modes de vie ou croyances de nos campagnes détonaient aux portes de Paris : « populaire » c’est ringard, presque « populiste », place donc à l’art très contemporain. Les Atp créés en 1937 (1) sous le Front populaire, ne furent donc pas aidés : délaissés, ils ferment en 2005, à côté s’élève aujourd’hui la fondation Arnault, un remplacement fort symbolique.  Les fonds, (350 000 objets et plus encore de photographies, sans compter les archives…) furent transférés à Marseille au MUCEM, ouvert en 2013, et qui s’est enfin décidé à les présenter « dans toute l’étendue de leur richesse et de leur diversité » sic. L’exposition est intitulée « Populaire ? », qu’y voit-on ?

Haro sur le « populo » 

Un méli-mélo d’usages et contextes très différents et, bien sûr, de l’Art très contemporain ! Telle cette bétonnière de l’artiste albanais Endri Dani trônant près de vêtements traditionnels brodés. L’engin est décoré d’une géométrie colorée reprise non pas d’une robe voisine, ce serait trop logique, mais de motifs peints sur une maison locale, bientôt détruite (2). Même Ph. Dagen dans « Le Monde » (3) n’a pas aimé ce « bazar surabondant » qui tourne à « la foire aux surprises », façon puces de Saint-Ouen ou Salon des antiquaires. Si les ATP furent un « musée-laboratoire », ici anthropologie, ethnographie, sociologie ou même histoire ne sont guère sollicitées… sauf l’AC, toujours susceptible d’éclairer l’univers !  L’art populaire ne doit pas prêter à compréhension, juste se fondre dans une kermesse où l’on déambule cool ? Enième trahison du « populaire » ?

Le tournant du Pop Art

Car plutôt que « popu » on préfère « pop », sa modernisation anglo-saxone, mais a-t-on conscience du détournement opéré par l’Art « Pop » de Warhol et Cie ? Ce produit de la société de consommation, où l’américanisation va bon train avec techniques et médias en gloire, signifie en fait « art de masse » (4), avec financiarisation ultérieure. Tout le contraire du populaire version rustique qui, aux Atp, fleurait bon les terroirs (ceux qui se révoltent en ce moment !). N’oublions pas le « populo » des villes, plus prolétaire, un brin marxisant, remplacé aujourd’hui par les « cultures urbaines » qui ont pour elles la jeunesse et le « from USA ». Or malgré cela, les arts populaires issus de la diversité, tel le Hip-hop, sont en passe de subir le même sort car tout ce qui est « populaire », pour les gouvernants, a vocation à devenir une contre-culture officielle.

 Hip-hop officiel 

Des députées ont déposé une proposition de loi pour rendre obligatoire un diplôme d’Etat pour les professeurs de danse Hip-hop (5): levée de boucliers avec une pétition aux 11.000 signatures. Or l’appellation Hip-hop dit assez son caractère spontané : en plus de quarante ans, il a généré son propre écosystème qui se débrouille très bien ; des écoles, des styles de danses variés (smurf, krump  etc. ou encore Breakdance bientôt aux J.O, une première ), bref un foisonnement peu cadrable administrativement. Le coût du diplôme, 450 euros, laissera plus de 4.000 euros à la charge du contribuable : comment légitimer cette usine à gaz ?

La sécurité, pardi : mais dire que le Hip-hop est dangereux c’est pratiquer l’amalgame, assimiler toutes les danses Hip-hop au Break qui lui est d’essence acrobatique ! Et surtout, il y a la fameuse consultation « populaire », c’est-à-dire les « assises du hip-hop » (déjà l’idée d’un Hip-Hop « assis » est suspecte), bref un genre de « convention citoyenne » où une “organisation nationale de Hip-hop” n’aurait  convoqué que 50 personnes, dont 28 en visioconférence ! A suivre…

Christine Sourgins

(1) Fondés par Georges Henri Rivière

(2) Le titre de l’œuvre : « Palimpseste » la compare abusivement aux manuscrits dont on a effacé les inscriptions pour les réemployer.

(3) « Les collections du Mucem réunies dans une foire aux surprises », Le Monde, 23/01/24, p.20.

(4) Rappelons avec H. Arendt que la société de masse est « cette espèce de vie organisée qui s’établit automatiquement parmi les êtres humains quand ceux-ci conservent des rapports entre eux mais ont perdu le monde autrefois commun à tous » 

(5) Il s’agit d’aligner le Hip-hop sur les danses classiques, contemporaines ou modern jazz.