La Culture à l’épreuve du Covid-19

6 avril 2020

La grande expo sur Raphaël en Italie ? Fermée au bout de 3 jours. Le jardin du presbytère, œuvre de van Gogh ? Dérobée dans un musée des Pays-Bas interdit de visiteurs. Si théâtres et cinémas, (jamais fermés lors des conflits mondiaux !) sont à l’arrêt,  l’AC (version bisounours) en profite pour occuper le terrain : en plein confinement, à Marseille, rien de mieux à faire que d’installer un ours orange (cinq mètres de haut, six tonnes), un ourson biface genre confiserie, baptisé Janus par l’artiste, « en hommage au dieu romain » : sur les ours-biscuits, la culture, c’est comme la confiture moins on en a, plus on l’étale… Originalité  zéro, le  truc le plus éculé de l’Art contemporain pompier : donner une taille gigantesque à un objet ordinaire. « Je veux juste installer de l’art sur l’espace public pour faire du bien ». En plein confinement personne ne verra rien, et après, on mesurera combien des proportions géantes déséquilibrent un paysage urbain, le  « disneylandisent »; « faire du bien » et non faire du buzz, eut été annuler et reverser les bénéfices à la recherche médicale qui urge. Il paraît que l’œuvre n’a rien couté au contribuable : que la Mairie dise alors combien cet artiste paye pour la location d’une place, bien public, et source de notoriété pour lui. Quid des autorisations données aux dépends d’autres artistes etc.  Rétrospectivement, l’inauguration d’une fresque, Le Fond de l’air,  en novembre 2019  à l’hôpital Charles Nicolle de Rouen, « interpelle » : 100 000 euros, avec une part importante de financement public, alors que les hôpitaux étaient déjà exsangues et en grève ! 

L’indécence de l’AC apparaît encore comparée à la générosité  d’artistes souvent méprisés par le milieu de l’Art conceptualo-contemporain : ceux du show–biz ou de la comédie. J-L Aubert diffuse des concerts depuis son salon, P. Obispo ou J-J Goldman créent une chanson sur mesure, Thomas Dutronc donne des cours de guitare via les réseaux sociaux, F. Luchini lit des fables, Anne Roumanoff crée une association  d’entre-aide pour les soignants etc. : la créativité est grande, gratuite, elle se propose et ne s’impose pas.

Mais cette crise sanitaire sera marquée par une vraie, une grande, une magnifique œuvre d’art contemporain ! Je m’enthousiasme rarement pour une performance, pour de l’art corporel en plus, toujours passablement exhibitionniste. Mais là, chapeau, même si l’inspiration est plutôt du côté de Spencer Tunick, le photographe qui met les foules en tenue d’Eve ou d’Adam pour « valoriser » des lieux prestigieux (1). L’œuvre, sérielle et processuelle, a pour auteur des infirmiers et infirmières libérales du collectif « SOS soignants en danger » qui, par centaines, se sont photographiés nus cliquer pour dénoncer leur manque de protection : « à poil contre le Covid-19 » fut lancé par une infirmière de Perpignan (le centre du monde selon Dali) actuellement en arrêt maladie, comme par hasard. Mais que fait le ministère de la culture ? Le ministre Riester, pourtant touché par le covid, devrait y être sensible ! Voilà qui mérite un Grand-prix, mieux, qu’on détourne (avec la bénédiction de Duchamp) les subventions prévues pour les prochains nounours et nanars de l’AC et qu’on les donne aux soignants ! Y aura-t-il un « après covid », où l’on pourra enfin dire : c’était une autre époque, incompréhensible aujourd’hui, un temps où les pains d’épices se prenaient pour des œuvres d’art !

Pour occuper votre confinement : l’émission « L’ombre d’un doute », consacrée à la peste de 1720 à Marseille ; vous verrez, c’est fou comme l’histoire se répète. Cliquer

Le dernier livre du philosophe Dany-Robert Dufour paru chez Actes Sud : « Baise ton prochain, une histoire souterraine du capitalisme ». Après « le divin marché », il réfléchit, en somme, sur l’amont de l’AC…

Pour ceux qui préfèrent les polars, « Le Faune Barbe-Bleue » d’Elena Jonckeere, professeur à l’Université Clermont Auvergne : une réécriture du célèbre conte qui se déroule dans le milieu de l’Art très (trop) contemporain : cliquer

Christine Sourgins

(1) La démarche de Tunick peut relever de la manipulation d’autrui, du moins de la « servitude volontaire » et cette nudité de masse ne peut pas ne pas rappeler, à une historienne, celle imposée dans les camps…