La leçon de Venise et celle de Paris

3 mai 2022

Deux manifestations internationales, la biennale de Venise (en cours) et Art Paris (achevée en avril) : quand la première mise sur « la parité » et l’actualité brulante d’Ukraine, Paris joue la carte de l’innovation écologique. A Venise, les femmes sont enfin mises en valeur (213 venues de 58 pays) mais les commentateurs restent un brin dubitatifs : il manque de grandes pointures,  Joan Mitchell ou Helen Frankenthaler pour l’Abstraction par exemple ; les femmes surréalistes, en sous-sol, ne sont pas mieux loties malgré un hommage à Léonora Carrington ; quant à Hannah Hooch, fameuse pour ses collages Dada, elle n’a droit qu’à deux fac-similés ! Bon, c’est tout de même un début, et, on l’espère, pas une simple session de rattrapage sans lendemains.

A Venise, le pavillon russe restera vide, les artistes ayant d’eux-mêmes annulé leur participation pour protester contre la guerre d’Ukraine.  Or  les fondatrices de Smart Art, la société chargée de gérer le pavillon russe, sont  Anastassia Karneeva, « fille d‘un ancien général du FSB et actuel directeur général de Rostec, une entreprise d’État du secteur militaire », elle est associée avec Ekaterina Vinokourova, qui n’est autre que… la fille de Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères ! ( The Art Newspaper) C’est dire si les pavillons nationaux de la Biennale sont des instruments de « soft power »aux mains des pouvoirs en place (1).

Après les femmes, la biennale braque ses projecteurs sur les artistes ukrainiens dont Pavlo Makov, un sexagénaire méconnu en Occident. Il présente sa Fontaine de l’épuisement : 72 entonnoirs en cuivre, accrochés en pyramide sur une plateforme de 3 mètres carrés. L’eau se divise en deux flux, alimentant les entonnoirs situés au-dessous d’eux. Seules quelques gouttes atteindront ceux du bas, symbolisant l’assèchement des ressources naturelles. Cette installation fut conçue en 1995 à Kharkiv après l’effondrement de l’empire soviétique, quand la crise économique qui suivit laissa le pays exsangue… privant la ville d’eau potable. La doxa qui court nos journaux répète à l’envie qu’il faut y voir un symbole de « l’épuisement de tout un peuple » sic. Or 1995 n’est pas 2022 et, au contraire, c’est la vigueur de la résistance ukrainienne qui a surpris un Occident fatigué…Le rocambolesque transport de cette œuvre, de Kharkiv à Venise en pièces détachées,  montre assez l’obstination ukrainienne sous les bombes. Cette Fontaine de l’épuisement, conceptualisante, n’est pas volontairement absurde, comme nos blasés d’AC en raffolent, elle appartient au registre de l’intéressant. Car elle consonne avec la fontaine tutélaire de l’AC, celle de Duchamp dont nos commentateurs, patentés mais épuisés,  ne voient pas à quel point son  filon (conceptualo-dérisoire) n’en finit plus de se tarir…

A Paris, on a pris la mesure de l’effort à fournir pour sauver la planète et du rôle d’exemplarité que peut offrir une manifestation internationale. Art Paris, qui n’a ni le renom ni l’ancienneté de la biennale de Venise, ouvre donc un autre front   : les cloisons des stands, 10 tonnes de bois, ou les six tonnes de moquettes murales ou au sol, tous ces déchets sont désormais soumis au tri sélectif et recyclage. C’est la première foire à faire analyser son empreinte écologique par un organisme indépendant.

 Christine Sourgins

(1) Pour plus d’infos sur l’aspect géopolitique de l’AC voir A. de Kerros, « Nouvelle géopolitique de l’Art contemporain », Eyrolles, 2019.