Le tribunal des révélations

24 mai 2022

 Au tribunal des enchères, Warhol bat Michel-Ange : Shot Sage Blue Marilyn à 195 millions de dollars y devient l’œuvre du XXe siècle la plus chère. Cette sérigraphie / acrylique terrasse un Michel-Ange resté au dessin, en dessous des 30 millions d’euros. Pourtant le merveilleux monde de l’AC est miné par quelques révélations venues des tribunaux. Vous connaissez Jan Fabre ? Un artiste d’AC qui eut les honneurs du Louvre (ou plutôt  « les horreurs du Louvre » tant ses œuvres dézinguaient le musée).  S’indigner que, sur la scène des plus grands théâtres, il laissa parler le corps et les sécrétions corporelles (euphémisme),  c’était être vieux jeu ! Il pouvait empailler des  coléoptères en voie de disparition, pratiquer le « lancer de chats » sa cause était bonne, puisque d’AC.  Patatras, mee too passe par là  et, après 3 ans d’enquête, à Anvers, l’artiste est condamné à 18 mois de prison avec sursis pour harcèlement sexuel et attentat à la pudeur. Ses collaboratrices artistes  « subissaient des humiliations morales et physiques répétées », l’instauration d’une « culture de la peur ». Jan Fabre, absent à son procès, récuse tout mais les subventions se détournent soudain de leur enfant chéri.

Autre révélation mise en délibérée au 8 juillet. Imaginez un écrivain contemporain affirmant : dans « le Rouge et le Noir », je change quelques virgules, deux paragraphes, j’appelle le héros Julien Borel au lieu de Sorel donc maintenant, c’est légal, Stendhal c’est moi ! C’est ce que les défenseurs de Catellan réclament à la barre du Tribunal de Paris : torpiller le droit d’auteur en « s’appropriant une œuvre par ses détails » sic. Cattelan, qui n’a jamais tenu un crayon ou un burin, a commandé à Daniel Druet huit sculptures devenues célébrissimes, dont le fameux Jean-Paul II écrasé par une météorite ou le petit Hitler en prière. Le sculpteur, prix de Rome qui portraitura maintes célébrités, de Bocuse à Depardieu en passant par Mitterrand, sait capter une personnalité, d’où l’émouvant visage de son Pape. Les œuvres de Druet, qu’on croit de Cattelan, sont régulièrement opposées aux critiques de l’AC : « vous voyez bien que les artistes d’Art financier savent encore travailler, sculpter : ce Pape, quel visage poignant !  Et le petit Hitler : de dos, c’est un enfant, de face un ange du mal en communiant ! » Ce tour de force, seul le travail sensible l’accomplit, celui de l’artiste de l’œil et de l’esprit, apte à manier des affects aussi forts. Or cet art séculaire fut, à la barre du Tribunal, rabaissé et bafoué : Druet ? Un « façonnier », un exécutant, un sous-traitant, un  simple artisan qui sculpte  (comme Michel-Ange dessinait) !

Cattelan n’est que le commanditaire-promoteur impulsant le sujet par de vagues indications quitte, une fois l’œuvre réalisée, à multiplier les « consignes mathématiques» (bouger le petit doigt de 3 millimètres, la paupière de deux etc. !) pour s’approprier « par les détails » une œuvre physiquement signée par Druet. Ce dernier voit sa contribution passée sous silence, y compris par de grands centres culturels censés informer le public ! Druet travaille sans modèle, invente plastiquement tout, et réclame en justice d’être coauteur, alors que Cattelan veut la propriété exclusive (contrairement à ce les pétitionnaires de la campagne médiatique prétendent, c’est Cattelan qui veut l’exclusivité !). Le Droit protège, non les idées (elles sont bien commun) mais leur mise en œuvre or nos artistes conceptualisants  aimeraient tant breveter les concepts : génial pour confisquer la pensée aux autres !

La Justice respectera-t-elle sa propre jurisprudence ? Elle reconnut (en 1971 !) les mérites du sculpteur Guino travaillant sous la dictée du vieux Renoir paralysé, incapable de fournir un modèle.  Guino transposait  en sculpture la peinture, les idées, l’esprit de Renoir. Comme Druet pour Cattelan. Druet dispose du savoir-faire, ressource première sans laquelle le faire-savoir du second ne serait rien. Si Cattelan gagne : confiscation de la propriété intellectuelle,  mort des auteurs-compositeurs ; le plagiat deviendra un art protégé… 

Christine Sourgins