Une amnésie française : l’art engagé

11 novembre 2019

La revue Ligeia (1) vient de faire paraître un article auquel j’attache la plus grande importance : « Loin des Gilets Jaunes : l’Art politisé de la France des années 60/70 ». Attention, pas un article purement rétrospectif, encore moins nostalgique. Il a l’ambition de combler une lacune ou plutôt une amnésie collective, un vide de la pensée soigneusement entretenu par nos actuels médias : que s’est-il vraiment passé entre l’Ecole dite de Paris, où régnaient les Picasso, Matisse, Chagall etc. et la période actuelle, en gros celle qui commence avec Jack Lang au ministère de la culture ? Comment, d’une époque où  Paris dominait l’art contemporain (au plein sens chronologique) et même l’art au niveau planétaire, est-on arrivé à une France culturellement à la traîne, voire assistée : pour restaurer notre patrimoine, il faut désormais faire appel aux compétences… des chinois, ce fut annoncé cette semaine pour Notre-Dame ; tant mieux pour le monument, (bravo aux chinois !) mais où est passée notre expertise ? Bref, il s’agit de la période qui précède immédiatement celle couverte par « Les mirages de l’Art contemporain » voir la vidéo de présentation cliquer (2).

Comment un monde où la Peinture-peinture était en pointe, prestigieuse, a pu faire place à l’indécrottable art bureaucratique d’aujourd’hui qui soutient essentiellement les productions conceptuelles et/ou mainstream, d’essence américaine, transformant nos centres d’art en tête de gondole de l’Art mondialisé ? Entre-temps, la peinture a été ringardisée et les quelques rares peintres qui sont tolérés aujourd’hui en avant de la scène française, sont comme les arbres qui cachent la déforestation  où tous les autres végètent.

La conclusion de mon article donne une explication… inavouable. Car il fut un temps, les années 60/70, où les peintres crurent pouvoir faire bouger les choses à coups de pinceaux. Si on sait encore leur implication, en mai 1968, dans l’Atelier Populaire des Beaux-Arts avec les fameuses affiches, on a oublié leurs luttes pour défendre le patrimoine (sauvegarde de la Cité fleurie, contre les bulldozers des promoteurs) ou pour acquérir des droits sociaux : bien des artistes qui bénéficient de la sécurité sociale, par exemple, pensent qu’il en a toujours été ainsi et ne savent plus qu’ils doivent cette avancée sociale aux luttes de leurs aînés. Les artistes étaient sur tous les fronts y compris juridiques : en procès contre la Cavar, caisse de retraite spoliatrice imposée par l’Etat aux artistes, et dont le directeur partit sans laisser d’adresse… Contrastant avec l’actuelle atonie, (la crise des Gilets Jaunes, exceptées une pétition et quelques œuvres de Street Art, n’a guère ébranlé le milieu culturel), la France connaissait alors un art politisé, dont un des axes était le Salon de la Jeune Peinture,(3) longtemps installé au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Or ce Salon remuant est aujourd’hui méconnu au point même d’être difficilement concevable…

Ces luttes ont été mises sont le boisseau car elles ont probablement inquiété le pouvoir qui, lui, a de la mémoire et décida d’une mise au pas des trublions culturels (ce sera le fameux subvention/ subversion où la subvention musèle, apprivoise la subversion) mais aussi la réalisation du Centre Pompidou (contre lequel les artistes d’alors menèrent une bronca, qui s’en souvient ?). Ce courant artistique fut vigoureux jusqu’au début des années 80, mais  au moment où, suite à l’élection de Mitterrand, ces artistes crurent avoir gagné la partie, la situation fut habilement retournée. Raconter cette vingtaine d’années trépidantes dépasse le cadre de ce blog : je vous renvoie donc vers Ligeia, revue courageuse, qui a osé publier un article … censuré ailleurs ! Or c’est un travail d’historienne, qui examine pour tenter de comprendre. Mais il semble que quelques implications, disons « géopolitiques », aient apeuré (on rêve !) certains. Ce genre d’avanie prouve que la liberté d’expression est en grand danger en France et je crains, hélas, d’avoir à en reparler à propos de la récente publication d’une autre analyste mais n’anticipons pas … à suivre…

Christine Sourgins

Attention: l’augmentation des frais postaux étrangle les revues (l’envoi coûte presque aussi cher que la revue ) : pensez-donc à les commander chez votre libraire préféré. Avec moins de moyens…il arrive quelques fautes d’orthographe, comme celle dans le nom de Sourgins…

  • (3) A ne pas confondre avec l’appellation « jeune peinture » désignant un courant pictural de l’entre-deux-guerres dans le sillage de Derain…L’histoire de ce salon est éclairée par l’ouvrage de Francis Parent, Raymond Perrot ; Pierre Bouvier, François Derivery, Claude Lazar, « Le Salon de la Jeune Peinture, une histoire », Patou, 2016 ; réédition augmentée de l’ouvrage de 1983.