Eloge du vide, suite…et fin

30 septembre 2014

En cette rentrée 2014,  l’artiste américaine Lana Newstrom pense, du haut de ses 27 ans,  avoir l’idée de génie du siècle en vendant… de l’invisible ? Pour voir l’invisible cliquez ici. Ses premières expositions ayant eu peu de succès, elle s’avise de ne rien faire mais de le faire savoir. Son expo  cartonne, avec le soutien de son galiériste : 4 oeuvres vendues pour plus de 35000 $ chacune. De l’art interactif qui obtient du spectateur ce que voulait Duchamp qui disait « ce sont les regardeurs  qui font les tableaux » ? Et qui réalise le rêve de l’hyper finance : vendre le néant à prix d’or ? Un observateur en conclut qu’il est plus facile de critiquer quand on peut voir l’oeuvre… autrement dit, le vide, lui, prête peu le flanc à la critique : quel serait un « mauvais vide » ? Un néant défectueux ? Un rien erroné ? Contrairement aux apparences, il est possible que Paris ait eu la primeur d’un néant  monumentalement  raté….

L’art contemporain excelle à réinventer le fil à couper le leurre tous les 4 matins. On se rappelle qu’Yves Klein avait exposé le vide dans la Galerie d’Iris Clert dès 1958… quelques disciples et épigones plus tard, le centre Pompidou avait organisé, en 2009, une rétrospective du vide, une première mondiale nous assurait-il : 9 salles entièrement vides et un catalogue de 500 pages. Mais pourquoi 9 salles ?  Est-ce pour la symbolique du chiffre neuf ? En quoi ces 9 vides sont-ils différents ?Parce que les artistes ne sont pas parvenus au néant de la même manière, pardi ! Prenez 9 bocaux identiques : dans l’un il y a des cornichons, dans un autre des clous, dans le 3ème de petits cailloux etc. Videz-les. Le premier vide est censé vous inspirer des sensations gustatives, le second des souvenirs piquants et douloureux, le 3ème avec un peu d’imagination vous conduira au petit Poucet etc. Notez la richesse du vide, inépuisable, quand les mots s’en emparent, opposé au désarroi du béotien confronté à neuf salles vides dans un musée dont il est le financier obligé…le visiteur se sent soudain une parenté shakespearienne avec le roi Lear : « nothing come from nothing » a-t-il envie d’hurler…

Mais  les initiés (maintenant vous l’êtes) à la richesse de signification du vide, ne peuvent, eux, que déplorer la timidité  Beaubourienne, la pingrerie du Centre Pompidou si chiche de son vide intérieur : quoi, neuf petites salles seulement pour un projet si grandiose ! Cela s’appelle gâcher une première mondiale ; c’est tout Beaubourg qu’il eut fallu vider pour montrer, avec courage, ce que la politique culturelle officielle avait dans le ventre.

Petit gag de rentrée qui peaufine notre initiation à la vacuité  :  Lana Newstrom est un de ces leurres qu’affectionne internet … mais qui manquent singulièrement de pédagogie… De qui Lana Newstrom est-elle le nom ? Incontestablement de toute une mouvance de l’AC, mais le hoax montre que le discours a changé. Klein justifiait sa quête d’immatérialité par les théories Roses+Croix. Le jeune Buren refusait d’exposer car  l’oeuvre dématérialisée se voulait un vertueux contournement du système mercantile. Notez qu’aujourd’hui ceci ne serait plus crédible, il faut, pour être entendu, afficher 35000 $, au moins.
La réalité a depuis longtemps dépassé la fiction : l’exposition de Klein cliquez, celle de Buren cliquez (et déroulez la page jusqu’en bas) la rétrospective sur le vide du centre Pompidou cliquez , n’ont pas fait l’objet du même buzz… dommage…

Christine Sourgins