Quand les élites défendent leur culture

23 avril 2024

Chansons, provoc et petits fours

Le milieu économique forge ces fortunes qui permettent de collectionner de l’AC…dans une ambiance culturelle très orientée. Ainsi, en janvier 2024, au Forum économique de Davos, dans une chapelle anglicane privatisée, lors de la « french soirée » où notre président vint en personne « vendre » la France aux grands patrons triés sur le volet, il y eut, classiquement, champagne, petits fours, chansons de Dutronc, Daho, Souchon… Mais aussi, noté par un journaliste de RTL, le groupe « Les escrocs » avec leur chansons titrée… Assedic ! Une bossa-nova de 1994, indolente et immorale sur le chômage : l’art de rendre rigolote une vision politique où chômeurs = escrocs, avec la pointe d’ironie et de cynisme chère à l’AC ?

Un sacrilège au musée

Le 23 février dernier, la réaction muséale face à un petit employé en dit long sur la manière dont l’élite estime le citoyen lambda, surtout quand il prétend peindre. Un membre du personnel technique de la Pinakothech der Moderne de Munich, 51 ans, peintre amateur rêvant de reconnaissance, s’avisa d’accrocher en douce une de ses œuvres (60 sur 120 cm) au milieu des Klee ou Rosemarie Trockel. Le naïf espérait voir son talent remarqué par visiteurs et professionnels de l’art, son travail couronné grâce à son audace. A force de voir des brimborions accéder au statut d’œuvre d’art, l’ingénu rêvait à une carrière artistique sans comprendre que si, dans un musée d’AC, n’importe quoi peut devenir de l’AC, ce n’est jamais n’importe comment : il faut un réseau qui valide le fait que c’est bien de l’AC ! Sinon, c’est un crime de lèse-majesté culturelle à punir vigoureusement.

Tolérance à géométrie variable

Pas d’indulgence du genre « c’est une performance comme une autre » : viré, séance tenante !  Aux Assedic le plouc, dénoncé auprès du service d’enquête criminelle, en plus ! Avec investigations sur les dommages matériels causés par les trous de forage lors de l’accrochage : le montant total des dégâts étant faramineux, environ 100 euros, l’ex employé est poursuivi pour dégradation de biens, « passible d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans en cas de condamnation. » 
Et encore, le tableau enlevé a été confisqué, on ne sait même pas à quoi il ressemblait, ni le nom du peintre amateur : musée et médias ont pratiqué la damnatio mémoriae du sacrilège. Tout en rappelant, sans rire, « l’importance du respect des règles dans les institutions culturelles », or ces dernières passent leur temps « à transgresser les frontières », à vanter l’audace des courageux artistes qui défient ceci ou cela en « questionnant l’institution ».  Mais là, pas de remise en cause sociétale : on sévit sans pitié !

Peu auparavant, toujours en Allemagne, une étudiante avait introduit de la même façon une de ses toiles dans la Bundeskunsthalle de Bonn (que la maline avait fixée au ruban adhésif) : là, c’est différent, ça change tout, on est entre soi, car une étudiante, une future artiste, appartient à la bonne communauté, celle que le système autorise à transgresser. Et le musée a trouvé cela amusant !

Nous régressons à l’Ancien régime, à la personnalisation des lois où le fait commis compte moins que le statut de la personne qui le commet : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », écrivait La Fontaine dans Les Animaux malades de la peste.

Christine Sourgins