Comment jouer aux gens d’Art et aux voleurs

12 août 2014

Le musée d’Art moderne de la ville de Paris a perdu en quelques minutes un Picasso, un Matisse, un Léger, un Modigliani, un Braque. Comme l’Etat et les grandes collectivités sont leur propre assureur : perte sèche. Voilà le résultat d’une politique culturelle « strass et paillettes », où on gaspille des sommes folles pour des événements ponctuels, quitte à rogner sur les dépenses de fonctionnement.

 Non seulement le système d’alarme était en panne depuis des semaines, mais personne n’a juger bon de doubler la garde, trop onéreux. La télésurveillance était censée, par son existence même, dissuader les malfrats. Cette double faute coûte bien plus que la centaine de millions d’euros annoncée : la perte du patrimoine est inestimable. Le politiquement correct, pourtant prompt à désigner des coupables, ne voit aucun responsable à sanctionner : c’est la faute à pas de chance, c’est vraiment bête, mais les voleurs sont arrivés au mauvais moment !

  Que ce mauvais moment soit programmé par une impéritie de gestion n’empêche personne de dormir, sauf le contribuable et les amateurs d’art. Pour un peu (les médias se plaisent à souligner la contradiction entre montrer les œuvres et les protéger) ce serait même de la faute aux visiteurs. S’il n’y avait pas de public, on pourrait tout cadenasser. Donc si le visiteur veut continuer à venir voir, qu’il ne râle pas et passez muscade ! Personne, du côté des édiles, ne songe à démissionner…

Le classique chantage à l’assurance, lorsqu’il s’agit de tableaux importants et difficilement monnayables sur le marché, est peut-être en train de se transformer en chantage à la Grande Capitale, en attendant un chantage à l’Etat. Puisqu’il est visiblement plus facile de dévaliser un musée qu’une banque, les ayant droit d’une ville ou d’un Etat pourraient fort bien commanditer un petit fric-frac, histoire de faire pression sur le paiement d’une dette.

Un des mobiles du vol pourrait être, dit-on, de « fournir une contre-valeur à un réseau maffieux ». La finance internationale étant mal en point, ces messieurs ont trouvé une « valeur refuge » . Notez qu’on entend rarement parler d’un casse concernant une installation d’Art très contemporain. D’abord parce que voler un requin dans le formol est plus compliqué que de découper un Matisse et, en outre, c’est plus difficile à cacher, surtout quand ça fuit. Comme le Financial Art ne produit de la valeur qu’à l’intérieur d’un réseau officiel, voler une œuvre d’art de ce type revient illico presto à lui ôter toute valeur marchande. Tandis qu’un Modigliani, accroché dans un musée ou dans le salon d’un parrain, conserve toujours sa beauté. Il faut faire confiance aux voleurs pour dégotter les vrais valeurs !

 Dernière hypothèse : ce vol peut être une œuvre d’art en soi. Beaucoup d’artistes « tendance » en ont usé. Hervé Paraponaris  titrait son expo au Musée d‘art contemporain de Marseille « Tout ce que je vous ai volé » (1):  « une collection d’objets divers, dérobés à des particuliers, des institutions, des associations, ou des entreprises. Saisis par la police, ces objets sont confisqués, puis disparaissent : ils ne seront jamais restitués, ni à leur propriétaire initial, ni à l’artiste ». Et un catalogue du très étatique FNAC entérinait sans rire l’existence de « vols conceptuels ». Dans le cas présent, on remarque que les bandits n’ont pas hésité à braquer un Braque, ce qui est l’indice d’une bonne connaissance des jeux de mots à la Marcel Duchamp, le pape de l‘Art contemporain. Si on les attrape, ils pourront toujours se déclarer artistes conceptuels puisque le détournement et l’appropriation est le maître mot de ce genre artistique.

  Intellectuellement, ces gens d’art et ces voleurs appartiennent au même monde, celui de l’argent facile.

  Christine Sourgins

(1) http://www.galerieofmarseille.com/artists/paraponaris/text/paraponaris_text.html