La trahison des clercs

24 novembre 2020

Seuls les naïfs crurent que la reconstruction de la flèche à l’identique épargnerait à Notre-Dame un redoutable « geste contemporain ». Cette fois, le vent de folie vient du diocèse, de Mgr Aupetit, archevêque de Paris, en tête. Tout part de « bonnes intentions », celles dont l’enfer est pavé : repenser le système de visite pour canaliser la foule et renouveler les contenus didactiques. Mais le projet débouche sur une modernisation effrénée et le « parcours catéchétique » commence par un coup de balai dégageant autels, confessionnaux, tableaux, jusqu’à déposer l’ensemble des verrières des chapelles de la nef, installées par Viollet-le-Duc au XIXème ! Pour les remplacer par des vitraux de 6 mètres de haut commandés à des artistes contemporains ! Or le vitrail est depuis longtemps un haut-lieu de l’Art dit contemporain (AC) hautement disruptif et transgresseur  (cliquer ici pour un article à ce sujet)  En infraction totale avec les principes de restauration des Monuments historiques et la Charte de Venise de 1964, une partie de ce qui a miraculeusement été épargné par le feu va dégager… L’incendie en a rêvé, nos clercs vont le faire !

On connait la chanson des « idiots utiles » de l’AC : « C’est pas grave, c’est du  Viollet-le-Duc donc du XIXème et le XIXème c’est mal ! ». D. Rykner a rappelé les qualités des verrières « en grisaille » au très beau décor historié : pour nier ainsi la double identité de la cathédrale, gothique et haut lieu de l’architecture romantique, le diocèse est-il devenu le ventriloque du ministère de la Culture ? Ceux qui pensaient que « La machine à baptiser » de Faust Cardinali installée à Saint Sulpice en 2001 (avec « le sperme du Créateur » sic), ou le Christ sur une chaise électrique dans la cathédrale de Gap en 2009 étaient des accidents, doivent convenir que l’inauguration des Bernardins (tout juste restaurés) par un labyrinthe de verre brisé était un programme. Le clergé catholique a suffisamment démontré sa propension au jeunisme (après des enfants) sans violer en plus le patrimoine et s’amuser avec  des bancs « dotés de points lumineux » substitués aux chaises paillées.  Les photos de synthèse donnent une ambiance d’aéroport, voire de parking, écrit Le Figaro : qui colle trop à son époque, s’en va avec. Or, désargentés par la crise sanitaire, donateurs et paroissiens pourraient financer ailleurs…

Danger bien perçu par  le rapport de la Cour des comptes sur le chantier de Restauration de Notre-Dame,  épinglant le ministère de la Culture. Car  au lieu d’utiliser l’intégralité des dons pour les seuls travaux de restauration… l’obole de la veuve engraisse l’Etablissement public, créé spécialement après l’incendie, énième « usine à gaz », chère à nos technocrates (et aux copains gravitant autour ?). Certes,  5 millions d’euros « seulement » part en frais de fonctionnement et en «  com », mais sur les 825 millions d’euros supposés collectés, 640 sont au stade de promesse, soit l’immense majorité ! Pierre Moscovici a réclamé une enquête administrative « maintenant », pour éclaircir les « responsabilités enchevêtrées » entre l’Etat et l’Evêché, ce mille-feuille administratif ayant précarisé les lieux : quoi, en septembre 2020, toujours pas d’enquête administrative en cours ? Qu’est-ce qu’on attend ? Qu’une troisième cathédrale (après Nantes cet été) brûle ? Nantes ou l’équipe paroissiale a donné gentiment les clefs à un personnage qui changeait de nom comme de chemise…avant de finir par  craquer une allumette : n’est-ce pas confondre charité et irresponsabilité ? Alors oui, certains donateurs pourraient se rétracter, déçus par une utilisation désinvolte des fonds et… du patrimoine.

« En finir avec la caste qui paralyse notre pays » est le sous-titre du livre de la journaliste Isabelle Saporta : «  Rendez-nous la France », qui vient de paraître chez Fayard. Outre un chapitre sur Notre Dame, c’est un inventaire général de ce qui s’apparente à une trahison des clercs, (le clerc étant l’expert supposé, laïc ou pas, pour reprendre le titre du livre de Julien Benda). Son style fluide et enlevé égaye ce véritable réquisitoire…

Christine Sourgins